Ci dessous l'interview de C Perillat le 08/12
Le marché automobile est en pleine révolution, avec, en particulier, une électrification qui semble se faire à l’avantage de Tesla et des constructeurs chinois. Quelles sont les conséquences de ces bouleversements pour Valeo ?
Le marché automobile est plutôt bon en 2023. Si l’on se réfère aux prévisions de S&P Global Mobility, un peu plus de 89 millions de voitures devraient être produites cette année, contre 82,4 millions l’an dernier. Dans toutes les régions, la croissance devrait être un peu plus forte que ce que l’on attendait en début d’année.Du côté de l’électrique, je n’ai pas de doute sur la fin de l’histoire : la mobilité sera décarbonée, et tout est fait pour que cela se passe le plus rapidement possible. La part des véhicules BEV (100 % électriques) dans les ventes de voitures était de 11 % à l’échelle mondiale en 2022, elle devrait atteindre 41 % en 2030 et dépasser 60 % en 2035. Valeo est un acteur fort de l’électrification. Cela contribuera à porter la croissance du groupe.Valeo s’est développé dans la haute tension, c’est-à-dire les véhicules 100 % électriques, à partir du joint-venture (JV) constitué avec Siemens en 2016 et dont nous avons pris le contrôle à 100 % en juillet 2022.
Au départ, nous sommes partis de quelques clients allemands avec des plateformes à fort potentiel de volume. Il est essentiel, pour nous à présent, de tirer parti de la vague de l’électrification en diversifiant nos clients et les régions sur lesquelles nous intervenons pour répartir les risques. C’est ce que nous avons fait ces deux dernières années, avec des prises de commandes en Europe mais aussi en Amérique du Nord, en Chine, en Corée ou en Inde. Ces commandes prises en 2022 et en 2023 se retrouveront dans les ventes à partir de 2025-2026.L’intégration de Valeo-Siemens se passe bien. Nous sommes en avance sur les synergies envisagées et sur les perspectives, mais la trajectoire ne sera pas linéaire. Au troisième trimestre, nous avons essuyé une baisse de nos ventes, certains modèles de nos clients s’étant moins bien vendus, mais la tendance est là : l’électrification est un marché qui va être multiplié par six d’ici à 2035, pour atteindre 200 milliards d’euros. Il portera la croissance et la rentabilité du groupe.
Votre développement ne risque-t-il pas d’être contrarié par la volonté des constructeurs de produire eux-mêmes certains éléments de la chaîne de traction électrique, comme les moteurs ?
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Il y a quelques années, nous disions que la répartition se ferait à parité entre équipementiers et constructeurs, puis les prévisions ont évolué vers une répartition moins favorable : 60 %-40 % et nous revenons de nouveau vers du 50 %-50 %.Il faut bien voir que la motorisation électrique, ce n’est pas seulement le bloc moteur c’est tout un ensemble qui comprend également un onduleur électrique de puissance, un chargeur, un réducteur et l’intégration de ces différents éléments. Le moteur en lui-même ne représente qu’un tiers de la valeur totale. Si les constructeurs vont sans doute capter de 60 % à 70 % de la production de moteurs, la part des équipementiers est significative dans les onduleurs et de 100 % pour les chargeurs. Les constructeurs ne fabriquent pas non plus forcément la totalité du moteur. Dans l’accord que nous avons conclu en 2022 avec Renault pour produire un moteur sans terres rares, nous fabriquerons le stator, alors que Renault se chargera du rotor. Même si nous ne vendons pas tous les éléments pour tous les clients, on constate néanmoins que le marché se concentre sur les fournisseurs qui, comme nous, proposent l’ensemble des composants.
Vous mettez en avant deux vecteurs de croissance, l’électrification mais aussi les aides à la conduite (Adas). Où se situe Valeo dans ce domaine ?
Je pense que nous avons, sur ce marché, une situation de leader assez extraordinaire. C’est un marché en très forte croissance, avec des ruptures technologiques auxquelles nous sommes préparés. Il devrait être multiplié par huit entre 2019 et 2035, pour atteindre alors 120 milliards d’euros. Cette croissance est portée par le besoin de sécurité active de plus en plus fort pour éviter les accidents et par le bouleversement de l’architecture électrique et électronique des véhicules.Nous passons de trente à cent calculateurs par voiture, auparavant, à cinq à dix très gros calculateurs beaucoup plus puissants. Valeo est parfaitement qualifié pour concevoir et produire les supercalculateurs destinés à l’aide à la conduite, en faisant à la fois le hardware et le software. Cela augmentera notre volume d’affaires par véhicule.
Par ailleurs, nous disposons de toute la gamme de capteurs, ultrasons pour les parkings, caméras, radars, lidars, avec presque partout des places de numéro un mondial. Nous avons, récemment, complété notre gamme avec deux nouveaux capteurs, la caméra thermique et le radar HD (haute définition). Avec les capteurs, les calculateurs et certaines briques de software, nous avons toutes les cartes en main pour répondre à la demande des constructeurs. Cela nous permet de signer des contrats de plus en plus importants. Au premier semestre 2023, la moitié des commandes que nous avons conclues l’ont été dans l’aide à la conduite, où les marges sont supérieures aux marges habituelles du groupe. En 2030, notre chiffre d’affaires dans ce domaine, de 800 millions d’euros au troisième trimestre de cette année, devrait être plus élevé que celui réalisé dans la haute tension électrique.
A partir de 2022, nous avons pris des commandes à une marge supérieure aux 6,5 % du plan Move Up à horizon 2025
Vous réalisez, toujours au travers de vos divisions Systèmes thermiques et Systèmes de propulsion, une part de votre chiffre d’affaires dans les voitures à combustion. Comment allez-vous gérer le déclin de ces activités ?
Le poids des anciennes technologies, qui vont devenir obsolètes, ne représentera que 8 % de notre chiffre d’affaires total en 2025. Trois grandes tendances, l’électrification, l’autonomie des véhicules et le rôle croissant des logiciels, structurent l’industrie automobile, et nous sommes parfaitement positionnés face à cela, ce qui n’est pas le cas de tous les équipementiers. Par exemple, 40 % de nos effectifs en recherche et développement sont spécialisés dans le software, et nous avons une équipe de deux cents spécialistes de l’intelligence artificielle.
Que représente la Chine dans votre activité ? Sentez-vous émerger la concurrence d’équipementiers locaux ?
C’est le premier pays du groupe, avec 35 usines et 25.000 salariés. Nous y sommes présents depuis trente ans, et nous sommes chinois en Chine : nous produisons sur place pour le marché local. Nous nous y sommes implantés en accompagnant nos clients européens, Volkswagen et Peugeot au départ, mais aujourd’hui, les clients locaux représentent 43 % de nos ventes et 50 % de nos prises de commandes. Sur l’électrique, la stratégie des groupes chinois est plutôt de faire en interne la partie moteurs. Mais nous avons un fort potentiel dans l’aide à la conduite, l’éclairage, le refroidissement des batteries, les pompes à chaleur… Nous travaillons avec tous les grands constructeurs chinois : BYD, Geely, Great Wall Motors, Chery, Nio, Gac et Saic…Nous avons au moins un concurrent local qui a émergé dans chacune de nos lignes de produit, mais nous jouons à armes égales car nous sommes très implantés localement. Et, à ce stade, ces concurrents restent pour l’essentiel concentrés sur le marché chinois, qui offre un potentiel très important.
L’intégration de l’activité haute tension, l’ex-société commune avec Siemens, a pesé sur la rentabilité. A quelle échéance le groupe peut-il espérer revenir à une marge opérationnelle de l’ordre de 7 %, comme au milieu des années 2010 ?
En pro forma, c’est-à-dire en intégrant ce JV dans les comptes de 2021 et 2022, notre marge opérationnelle aurait été de 1,7 % en 2021 et de 2,4 % en 2022, et nous avons confirmé notre objectif de nous situer entre 3,2 % et 4 % sur l’ensemble de l’année 2023, après 3,2 % au premier semestre. Nous voulons être fiables. En 2022, certains de nos confrères ont revu leurs prévisions à la baisse. Cela n’a pas été notre cas, malgré un contexte très défavorable marqué par la pénurie des semi-conducteurs, l’inflation des coûts… Lors de la conférence téléphonique avec les analystes qui a suivi la présentation de notre chiffre d’affaires à neuf mois, en octobre, j’ai annoncé que j’étais « à l’aise » avec leur consensus, qui vise une marge de 3,6 %. Je suis également confiant au sujet de l’objectif de 6,5 % pour 2025. Nous respectons notre plan. A partir de 2022, nous avons pris des commandes à une marge supérieure aux 6,5 % du plan Move Up à horizon 2025, et, cette année, la rentabilité attendue des nouveaux contrats signés est significativement supérieure à l’an dernier. Compte tenu du délai de trois à quatre ans avant la mise en production, cela commencera à se traduire dans nos résultats de 2025, mais, surtout, au cours des exercices suivants. Cela montre que nous pouvons nous permettre d’être sélectifs dans nos prises de commandes, parce que nous sommes compétitifs et que nous disposons de la bonne technologie : nous regagnons du pricing power.
Valeo, comme d’autres équipementiers, s’est plaint de négociations difficiles avec les constructeurs pour répercuter les hausses de coûts subies. Où en est-on ?
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Nous avons pu quasiment boucler toutes ces renégociations et relèvements de prix au premier semestre. J’ai la conviction que c’était le bon moment pour le faire, alors que le rythme de l’inflation a maintenant tendance à ralentir. Les discussions ont été difficiles, mais en agissant à la fois avec transparence et fermeté, les choses aboutissent. De plus en plus de prix sont désormais indexés, ce qui nous protégera mieux à l’avenir et ce qui clarifie la situation.
Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis, avait jeté un pavé dans la mare cet été en invitant les équipementiers à s’inspirer des méthodes du groupe Stellantis pour réduire leurs coûts...
Si j’en crois les prises de commandes signées avec Stellantis, nous figurons manifestement dans la liste des fournisseurs avec lesquels ce groupe veut construire un avenir… Il faut agir avec transparence, fermeté et dans le respect du partenariat.
La question qui dérange
La dette de Valeo atteignait 4,5 milliards d’euros en juin. Vous annoncez 500 millions d’euros de cession d’ici à la fin de l’année. Cela sera-t-il suffisant ou envisagez-vous, comme certains de vos confrères, de nouvelles cessions d’actifs ?
Nous espérons avoir signé des accords de cessions de 500 millions avant la fin de l’année, même si les sommes ne seront pas encore encaissées à cette date. Notre dette ne nécessite pas de mesures complémentaires : Valeo se situe très significativement sous les ratios définis par les covenants bancaires. En combinant les cessions prévues et l’amélioration du cash-flow qui proviendra mécaniquement de l’amélioration de nos marges, nous n’avons pas besoin de nouvelles mesures. Nous avons confirmé notre objectif de dégager un cash-flow libre de plus de 320 millions cette année, contre 205 millions en 2022 (pro forma), et nous visons entre 800 millions et 1 milliard en 2025.