COPRYRIGHT LETTRE A
Atos : le futur Eviden héritera aussi des contrats dans le rouge
Le pari de l'état-major d'Atos était de conserver les activités les plus porteuses en cédant les moins rentables à Daniel Kretinsky. Mais, selon des données internes obtenues par La Lettre A, le pôle Digital du futur Eviden affiche des taux de marges inquiétants sur plusieurs importants contrats.
Publié le 25/08/2023 à 6h20 Lecture 4 minutes
Robin Carcan
Eviden - nom que le groupe
Atos adoptera une fois que la cession de sa division
Tech Foundations (TFCo) à
Daniel Kretinsky sera entérinée - est censé offrir des perspectives de marges opérationnelles prometteuses. Le
story-telling du découpage du fleuron informatique français prévoyait de le délester des activités jugées peu rentables d'infogérance pour mieux conserver les plus porteuses, autour d'une activité Big data et cybersécurité (BDS) et d'un pôle Digital, au sein d'Eviden. Or ce n'est pas franchement la martingale vendue à longueur de conférences au marché et aux investisseurs. Car ce pôle Digital - qui représentera 62 % du futur Eviden - affiche des marges alarmantes sur plusieurs importants contrats, d'après les données confidentielles recueillies par
La Lettre A pour l'année 2022.
La multiplication de ces
deals mal gérés a plongé le fleuron informatique français dans une véritable tourmente financière depuis un an. Probablement à leur insu, plusieurs groupes français ont vu leur contrat avec Eviden classés en rouge par l'équipe de
Bertrand Meunier, président d'Atos. Cette étiquette signale les comptes présentant des profits insuffisants et s'accompagne généralement de mesures visant à réduire les coûts des ingénieurs missionnés.
Le CEA plombe les marges
Titulaire de plusieurs contrats noués avec Atos de longue date, la
SNCF occupe une place de choix dans cette liste. Pour le contrat appelé "RAE", la marge attendue au troisième trimestre 2022 était de -727 % (contre -345 % au trimestre précédent) et a plongé de -1,3 million d'euros. D'autres prestations sont aussi à l'origine d'importantes pertes, comme le contrat de services fourni à l'entreprise
Plastic Omnium. La mission réalisée pour le sous-traitant automobile présidé par
Laurent Burelle devait générer 300 000 € au troisième trimestre. Mais à l'arrivée, Plastic Omnium a plombé les comptes d'Atos de 1,3 million d'euros. Une telle moins-value est difficilement admissible pour un groupe évoluant en première division des services informatiques.
Les équipes de Digital ont aussi des sueurs froides avec le
Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Sa marge est tombée à -125 %, après deux trimestres à -20 %. Une situation inconfortable, qui renvoie aux prestations fournies du côté de TFCo, également sous contrat avec le CEA et dont les marges avaient dangereusement chuté, comme l'avait montré
La Lettre A (LLA du
23/02/23).
Contrats classés "rouges"
Sur la même période, le business avec
Stellantis,
Renault-Nissan ou encore la
RATP n'a pas été aussi fructueux qu'attendu. A la différence du contrat "Mistral" signé avec
Réseau Ferré de France (RFF, devenu
SNCF Réseau). C'est avec ce projet que le gestionnaire du réseau ferroviaire français achève le futur outil de commande centralisée des 15 000 itinéraires du réseau. La marge d'Atos plafonne cependant à 4 %. L'ensemble de ces contrats ont été classés "rouge" par le groupe de services informatiques fin 2022 et sont placés sous haute surveillance. Certains ont dû être abandonnés.
Aucun de ces éléments ne transparaît dans la communication financière d'Atos. En guise de
mea culpa, la direction s'est contentée de reconnaître en interne une insuffisance de suivi des contrats ainsi qu'"
une mauvaise maîtrise sur certains projets" de l'entité Digital. En clair, la gestion des projets est aussi approximative que chez TFCo, présenté depuis un an comme le "boulet" d'Atos dont il fallait se débarrasser au plus vite, car il générait peu de cash. Reste à savoir si les mêmes causes produiront les mêmes effets dans le futur Eviden.
Le lourd héritage de la méthode Breton
Ces errements montrent que la dégringolade du groupe a bien démarré sous l'ère de
Thierry Breton. Nombre d'indicateurs (chiffre d'affaires, marge opérationnelle, trésorerie, etc.) ont commencé à plonger significativement sous son règne, et ce, à partir de 2018. L'ancien patron d'Atos a quitté ses fonctions fin 2019 pour rejoindre la
Commission européenne, mais les effets contre-productifs de sa méthode - nourrie des préconisations de
McKinsey - apparaissent au grand jour. Il s'agissait d'abord de décrocher coûte que coûte des contrats avec des clients de premier rang (EDF, CEA,
Safran,
Engie,
Naval Group…) quitte à compresser les marges. Puis, dans un second temps, de gérer (au mieux) leur rentabilité et de se rattraper en proposant des services additionnels.
Au fil des années, ces dérapages en série sont devenus fatals. Pour la première fois, en 2018, le groupe a été plombé par une trésorerie négative colossale de -2,8 milliards d'euros (et -1,7 milliard d'euros en 2019). L'ex-PDG d'Atos suit d'ailleurs ce dossier comme le lait sur le feu depuis Bruxelles, inquiet de voir son étoile d'ex-homme d'affaires visionnaire se ternir mois après mois auprès du Tout-Paris.