matabeta
Active member
Un regard intéressant sur les déboires actuels d'Atos, les rapports de force, et l'évolution de l'entreprise... La conclusion et prospective est intéressante pour nous.
Atos : rapports de force entre une gouvernance influente et l’opposition actionnariale fondée sur la guerre informationnelle
Par Agathe Bodelot, 09/11/2023
Contextualisation : un leader du numérique en difficultés financières Sortie du CAC40 en 2017, Atos est déficitaire de 95% de sa capitalisation boursière depuis trois ans. L’entreprise de services numériques (ESN) cherche un plan de sauvetage pour rebondir sur ses 2,4 milliards d’euros de dettes. Le conseil d’administration (CA) du 14 juin 2022i signe un tournant pour Atos.
Conseillé par le cabinet McKinsey, l’ancien président d’Atos Bertrand Meunier y exposait la future scission du groupe en deux entités distinctes : Eviden, aux actifs stratégiques sera côté séparément des activités d’infogérance regroupées au sein de Tech Foundationii. L’annonce de la scission fortement contestée, accompagnée du plan de réduction des coûts Boostiii, plombe l’action de 45%iv . Les offres d’achat publiques (OPA) s’enchaînentv , avec au cœur du problème la question sensible de souveraineté numérique et des supercalculateurs, essentiels à la dissuasion nucléaire françaisevi .
La montée en puissance progressive d’une forte agitation interne Un terreau favorable à l’opposition Dès l’annonce controversée de la scission, considérée pour beaucoup comme un « non-sens industriel », le site internet atos.bourse.blog s’agite.
Créé à l’automne 2022, un actionnaire y publie quotidiennement sans aucune censure, toutes les analyses et articles existants concernant la stratégie financière de l’entreprise numérique, exposée à de nombreuses critiques. Le blog devient rapidement une référence en termes de ressources informationnelles sur Atos. En parallèle, des actionnaires minoritaires mécontents tels que Sycomor, Sparta Capital et Hervé Lecesne demandent le départ de Bertrand Meunier. Attirant les regards sur l’ESN à travers des lettres ouvertesvii, ils souhaitent aussi le changement de trois administrateurs. En mai 2023, un premier scandale éclate au sein d’Atos.
Diffusé en interne, un mail accuse la tête de la CFDT d’avoir été soudoyée par Bertrand Meunierviii. Si l’origine du mail reste inconnue, la diffusion d’informations compromettantes sur Alia Iassamen fragilise aussi bien le syndicat, que la tête du groupe. Quelques jours après, le fonds Sycomore lance la première campagne activiste qui viendra déstabiliser le groupeix. Trois actionnaires proposent quatre résolutions dissidentesx , lors de l’assemblée générale du 2 juin. Néanmoins, le choix peu stratégique de l’ancien directeur Léo Apotheker, fraichement débarqué d’HP décrédibilise le fonds minoritaire, dont les résolutions non recommandées par l’ISS ne seront pas adoptées à l’AG suivante. 2
La cession de TFCo à Krétinsky : le point de bascule Le CA du 1er août 2023 fait basculer le rapport de force entre la gouvernance du groupe et les actionnaires minoritaires de l’opposition. Bertrand Meunier annonce la cession de Tech Foundation (TFCo) au milliardaire tchèque David Krétinsky, qui accèderait également à 7,5% du capital d’Evidenxi . La colère des actionnaires se cristallise notamment sur l’augmentation de capital de 700 millions d’euros accompagnant l’opération. Une étude de Sophie Vermeille, constatant souvent un échec lors de ces opérations de recapitalisation xii appuie leur revendication. La transaction financerait le milliard apporté à Krétinsky, pour les besoins en fonds de roulement de TFCo.
Le fonds activiste Ciam calcule que « cela revient à céder l’entreprise d’infogérances à un prix négatif de 900 millions » xiii, tout en laissant les 3 milliards d’euros de dette aux activités restantes, privées de toute liquidité. Une certaine incompréhension de cette cession et la révélation de la détérioration financière, entraînent une chute de l’action de 45% en quelques séances. Plusieurs actionnaires saisissent l’AMF, dénonçant la noncommunication du profit warning pourtant obligatoire à la vue de la situation. Chutes majeures du cours d’Atos sur les deux dernières années – données de boursier.com, réalisé sur caneva le 04/11/2023. Une fronde actionnariale offensive sur tous les terrains, largement dominante dans la guerre informationnelle livrée à la présidence du groupe La médiatisation recherchée par les actionnaires, pour alerter sur les manœuvres du board évitent un débat à huis-clos. Ils sont clairement vainqueurs dans la guerre informationnelle autour de la stratégie financière du groupe, notamment grâce au site atos.bourse.blog. De nouveaux leviers apparaissent pour les actionnaires, permettant un déblocage des barrières internes grâce à l’appui d’acteurs externes. 3 Gain de l’opinion publique grâce aux médias La perte de crédibilité, le manque de communication ainsi que l’opacité des manœuvres financières du groupe fondent l’argumentation de l’opposition.
La perte de crédibilité de l’ancien président Bertrand Meunier joue largement en faveur des actionnaires, dont la cause surcharge l’espace médiatique. En effet, il annonce à l’AG du 28 juin qu’« aucune augmentation de capital n’est prévue » xiv, et que le projet initial de scission reste identique. Or à peine un mois plus tard, l’annonce de la cession de Tech Foundation à Daniel Krétinsky, accompagné d’une recapitalisation sur Evidian remet largement en cause ces propos. De telles opérations nécessitent plusieurs mois de préparation, qui aurait en réalité commencé en début d’année 2023. De plus, les 800 000€ de jetons de présence partagés annuellement entre les membres du board font jaser, tout comme les extravagants parachutes dorés.
Contrastant avec les difficultés pécuniaires actuelles, ces rémunérations du board contribuent à rallier l’opinion publique à la cause des actionnaires, pourtant peu populaires dans la culture française de l’entreprisexvi . Notons que les rapports financiers annuels d’Atos montrent une réserve de cash de 2 milliards d’euros, dont on ne parle que très peu. Aggraver la situation financière du groupe dans les médias, en laissant croire à une « faillite » prochaine, pourrait être une stratégie d’opportunistes gravitant autour du dossier.
Ce type de désinformation permet alors de racheter à bas prix les titres vendus massivement par les plus frileux, et d’attendre la remontée du titre induite par la vérification des informations. Formation de l’opposition : des réactions isolées vers une association actionnariale Bien que la CA se tienne le 1er août en plein été, l’annonce de la vente de Tech Foundation à Krétinsky ne passe pas inaperçue. L’exposition médiatique est telle, que les réactions d’opposition sont immédiates : plus de quatre-vingts parlementaires Les Républicains écrivent une Tribune à l’Elyséexx , le lendemain de l’annonce. L’impact est réel sur le cours d’Atos, qui perd plus de 45% de sa valeur en quelques séances. Enfin, une note de l’ancien administrateur du CEA Daniel Verwaerde parvient à l’Elysée.
C’est l’intervention d’un acteur de poids, qui requiert un plan de sauvetage pour la souveraineté numérique auprès de l’Elysée, face à celui de la revente au magnat tchèque. L’interaction de nombreux actionnaires minoritaires, via le site atos.bourse.blog favorise une certaine unité à travers l’association l’Union des actionnaires d’Atos en colère (UDAAC), créée le 24 août par Francis Unal et Mohamed Farhat. L’Udaac propose une stratégie calquée sur la fronde syndicale réussie d’Unibailxxii, en situation d’opposition interne similaire à celle d’Atos.
Ils soumettront un premier courrier au board le 11 septembrexxiv, avant de saisir l’AMF le 20 septembrexxv. Depuis, l’association tente de convoquer une assemblée générale exceptionnelle (AGE), afin d’y inscrire des résolutions remaniant le boardxxvi. Mais avec ses 0,76% au capital du groupe, l’association d’actionnaires est encore loin des 5% requis pour convoquer une AGE. Un atout externe majeur : l’avocate engagée Sophie Vermeille conseille l’UDAAC Très sollicitée dans les combats actionnariaux, Sophie Vermeille s’est particulièrement illustrée sur le dossier Casino. Elle a multiplié les actions offensives sur tous les fronts pour obtenir une clarification sur la comptabilité opaque du groupe : ses lettres publiques au Parquet national financier (PNF), aux administrateurs de Casino, au Haut Conseil du commissariat aux comptes, 4 et ses messages publiés sur Facebook et LinkedIn ont eu raison du PDG Jean-Charles Naourix .
La juriste a fondé son propre cabinet Vermeille & Co en 2013, disposant ainsi d’une indépendance incontestable. Elle assume son soutien jusqu’au bout, bien que ciblée par de nombreuses procédures judiciaires. L’avocate a notamment été sollicitée pour aider l’UDAAC à convoquer une AGE. Sophie Vermeille a pu développer une stratégie sur une option juridique encore inexploitée lors des campagnes activistes. Lorsque l’actionnariat est très dilué, il peut saisir directement le tribunal de Commerce si la situation est considérée « urgente ».
Le président du tribunal nomme alors un mandataire chargé de convoquer l’AG. Changement d’échelle avec l’engagement de procédures judiciaires La plainte déposée par le fonds minoritaire Alix AM auprès du PNF ouvre un nouveau volet juridique le 22 septembre. Le directeur général Nourdine Bihame et Diane Galbe de la direction opérationnelle y sont accusé de corruption active et passive. Pour l’administrative indépendante Caroline Rouellan, c’en est trop : elle quitte le board le 4 octobre, le jour du changement de directeur général. Arrivée quelques mois après le départ de Colette Neuville en 2022, Caroline Rouellan incarnait la défense des actionnaires minoritaires. C’est pourquoi sa démission ternit énormément l’image, déjà mauvaise de la gouvernance d’Atos.
La cascade d’actions offensives se poursuit avec le dépôt d’une deuxième plainte au PNF, celle du fonds activiste CIAM CI. Dix jours plus tard, le syndicat CGT Atos/bull saisit également l’AMF et ordonne à la gouvernance d’Atos de rendre des comptes dans une nouvelle lettre ouverte. Fronde actionnariale schématisée par Anne-Cécile Gaillard, fondatrice de Médicis- 20 octobre 2023 ; 5 La tête d’Atos sur la défensive, mais proactive sur sa stratégie d’influence auprès des plus grands Deux nouveaux acteurs principaux viennent défendre leurs intérêts dans le bras de fer toujours en cours Influence indirecte de l’Etat, frileuse sur le sujet Dès 2022, l’Institut des Hautes Etudes pour la Défense Nationale (IHEDN) avait signalé au ministre des Armées, Sébastien Lecornu un risque pour la souveraineté numérique et la dissuasion nucléaire. En effet, aucune condition juridique ou institutionnelle ne met en place des gardes fous effectifs au sein des entreprises essentielles et sur les marchés financiers français.
Pourtant, l’Etat est resté discret, évitant de politiser le dossier Atos, auquel plusieurs personnes politiquement exposées sont liées. Des conflits d’intérêts mêlant politiques, cabinets de conseil et la gouvernance d’Atos pourraient gêner l’Elysée pour se positionner clairement sur le dossierxlix . « Tout est une question de volonté de l’exécutif », nous confiait Alain Juillet à ce sujet en octobre. Il évoquait notamment les dérives capitalistes d’un gouvernement désintéressé de l’intérêt général, et dépourvu de toute ambition de construire un quelconque projet économique. Il faudra attendre la très forte médiatisation secouant Atos depuis l’été, pour jouer sur un 3e échiquier politique, en plus du sociétal et économique. En effet le 19 septembre, Alexis Kohler place Bertrand Meunier sous la tutelle de Thomas Courbe à la tête de la direction générale des entreprises (DGE), et d’Alexandre Lahousse de la direction générale de l’armement (DGA) .
Si la tutelle prend fin avec la démission de Bertrand Meunier le 16 octobre, la nomination de Laurent Collet-Billon à la vice-présidence affermit le contrôle régalien d’Atos. En effet, le bras droit du nouveau président Jean Pierre Mustier a dirigé la DGA de 2008 à 2017 et semble disposer à veiller sur les intérêts stratégiques de l’Etat. Les parlementaires forcent la main à l’état avec une demande de nationalisation Cédric Perrin, le sénateur à l’origine de la tribune signée par les 82 parlementaires dénonce la responsabilité de l’Elysée, dans le volet souveraineté.
Il alerte, que « Kretinsky est en train de racheter la France par appartements avec la bénédiction du clan Macron et Kohler, qui ont joué un rôle actif dans ce dossier ». Le socialiste Philippe Brun poursuit la stratégie offensive visant à faire réagir le gouvernement. C’est ainsi qu’un amendement au Budget Finances 2024, a proposé la nationalisation temporaire des activités stratégiques d’Atos le 23 octobre. Si certains y ont vu une protection de la souveraineté, d’autres pensent à une « pure manœuvre politique » dans la nationalisation de cette société pourtant tournée vers l’international. Le 8 novembre, Bruno Le Maire a refusé cet amendement, indiquant que sa « responsabilité n'est pas d'investir dans l'entreprise, c'est de protéger les technologies les plus sensibles ». L’action avait dégringolé de 10% après l’annonce des projets de nationalisation, atteignant les 4,41€ par titre. L
e moment était ainsi propice pour acheter du capital, sous les radars des 5% de l’AMF. 6 Le dernier Game changer : apparition surprise d’un actionnaire de référence A la tête de l’entreprise du numérique Onepoint, David Layani est monté à 9,9% au capital d’Atoslvii. Profitant des 4 jours de délai autorisés pour se déclarer auprès de l’AMF, il surgit inopinément en actionnaire de référence le jeudi 2 novembre. Cet investissement de 70 millions d’euros lui octroie la possibilité de soumettre un, voire deux nouveaux administrateurs au CA, et donc de peser dans les décisions stratégiques du groupe. Recalé par l’ancien président du CA sur son offre de rachat d’Eviden en octobre 2022, David Layani apparait aujourd’hui proche de la nouvelle gouvernance. Il affirmait en effet soutenir le projet de cession de TFCo à Krétinsky.
De plus, ce nouveau poids lourd, très proche d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe entre dans l’arène à un moment clé du plan de Sophie Vermeille. En effet, l’arrivée d’un actionnaire de référence bloque la possibilité de convoquer une AGE d’urgence, comme le soulignent les membres de l’Udaac, méfiants. CIAM CI souligne aussi le risque d’une prise de contrôle des actifs d’Atos induisant directement du pouvoir au CA. D’un autre côté, l’activiste Hervé Lecesne rassure les actionnaires en rappelant leur objectif majeur, partagé avec le dirigeant de Onepoint : éviter l’augmentation du capital de 900 millions d’euros. S’il était question de cession d’actifs en cas d’acquisition d’Eviden par Layani, afin de dégager de la liquidité, la levée de fonds de Onepoint ce mercredi 8 novembre donne un nouvel éclairage à la situation.
La branche crédit du géant américain du private equity Carlyl a en effet accordé un financement long terme de 500 millions d’euros à l’entreprise de David Layani. Ceci pourrait lui permettre d’acheter les 54% que représente la partie digitale d’Eviden, estimée aux alentours de 800 millions d’euros. Dans cette optique, Tech Foundation resterait chez Atos avec la moitié d’Eviden, portée par Syntel. Le milliard d’euros qui justifiait l’augmentation de capital à 900 millions ne serait alors plus d’actualité, puisque David Layani apporterait une somme similaire en rachetant la partie BDS qu’il convoite depuis octobre 2022. Si un tel scénario venait à se produire, les activités sensibles resteraient sous le giron du français Onepoint, tandis que les actionnaires ne seraient ni spoliés ni dilués à travers des opérations douteuses. David Layani serait le grand gagnant de l’affaire, et Atos privé de sa partie digitale n’aurait plus que 300 millions d’euros à trouver.
Atos : rapports de force entre une gouvernance influente et l’opposition actionnariale fondée sur la guerre informationnelle
Par Agathe Bodelot, 09/11/2023
Contextualisation : un leader du numérique en difficultés financières Sortie du CAC40 en 2017, Atos est déficitaire de 95% de sa capitalisation boursière depuis trois ans. L’entreprise de services numériques (ESN) cherche un plan de sauvetage pour rebondir sur ses 2,4 milliards d’euros de dettes. Le conseil d’administration (CA) du 14 juin 2022i signe un tournant pour Atos.
Conseillé par le cabinet McKinsey, l’ancien président d’Atos Bertrand Meunier y exposait la future scission du groupe en deux entités distinctes : Eviden, aux actifs stratégiques sera côté séparément des activités d’infogérance regroupées au sein de Tech Foundationii. L’annonce de la scission fortement contestée, accompagnée du plan de réduction des coûts Boostiii, plombe l’action de 45%iv . Les offres d’achat publiques (OPA) s’enchaînentv , avec au cœur du problème la question sensible de souveraineté numérique et des supercalculateurs, essentiels à la dissuasion nucléaire françaisevi .
La montée en puissance progressive d’une forte agitation interne Un terreau favorable à l’opposition Dès l’annonce controversée de la scission, considérée pour beaucoup comme un « non-sens industriel », le site internet atos.bourse.blog s’agite.
Créé à l’automne 2022, un actionnaire y publie quotidiennement sans aucune censure, toutes les analyses et articles existants concernant la stratégie financière de l’entreprise numérique, exposée à de nombreuses critiques. Le blog devient rapidement une référence en termes de ressources informationnelles sur Atos. En parallèle, des actionnaires minoritaires mécontents tels que Sycomor, Sparta Capital et Hervé Lecesne demandent le départ de Bertrand Meunier. Attirant les regards sur l’ESN à travers des lettres ouvertesvii, ils souhaitent aussi le changement de trois administrateurs. En mai 2023, un premier scandale éclate au sein d’Atos.
Diffusé en interne, un mail accuse la tête de la CFDT d’avoir été soudoyée par Bertrand Meunierviii. Si l’origine du mail reste inconnue, la diffusion d’informations compromettantes sur Alia Iassamen fragilise aussi bien le syndicat, que la tête du groupe. Quelques jours après, le fonds Sycomore lance la première campagne activiste qui viendra déstabiliser le groupeix. Trois actionnaires proposent quatre résolutions dissidentesx , lors de l’assemblée générale du 2 juin. Néanmoins, le choix peu stratégique de l’ancien directeur Léo Apotheker, fraichement débarqué d’HP décrédibilise le fonds minoritaire, dont les résolutions non recommandées par l’ISS ne seront pas adoptées à l’AG suivante. 2
La cession de TFCo à Krétinsky : le point de bascule Le CA du 1er août 2023 fait basculer le rapport de force entre la gouvernance du groupe et les actionnaires minoritaires de l’opposition. Bertrand Meunier annonce la cession de Tech Foundation (TFCo) au milliardaire tchèque David Krétinsky, qui accèderait également à 7,5% du capital d’Evidenxi . La colère des actionnaires se cristallise notamment sur l’augmentation de capital de 700 millions d’euros accompagnant l’opération. Une étude de Sophie Vermeille, constatant souvent un échec lors de ces opérations de recapitalisation xii appuie leur revendication. La transaction financerait le milliard apporté à Krétinsky, pour les besoins en fonds de roulement de TFCo.
Le fonds activiste Ciam calcule que « cela revient à céder l’entreprise d’infogérances à un prix négatif de 900 millions » xiii, tout en laissant les 3 milliards d’euros de dette aux activités restantes, privées de toute liquidité. Une certaine incompréhension de cette cession et la révélation de la détérioration financière, entraînent une chute de l’action de 45% en quelques séances. Plusieurs actionnaires saisissent l’AMF, dénonçant la noncommunication du profit warning pourtant obligatoire à la vue de la situation. Chutes majeures du cours d’Atos sur les deux dernières années – données de boursier.com, réalisé sur caneva le 04/11/2023. Une fronde actionnariale offensive sur tous les terrains, largement dominante dans la guerre informationnelle livrée à la présidence du groupe La médiatisation recherchée par les actionnaires, pour alerter sur les manœuvres du board évitent un débat à huis-clos. Ils sont clairement vainqueurs dans la guerre informationnelle autour de la stratégie financière du groupe, notamment grâce au site atos.bourse.blog. De nouveaux leviers apparaissent pour les actionnaires, permettant un déblocage des barrières internes grâce à l’appui d’acteurs externes. 3 Gain de l’opinion publique grâce aux médias La perte de crédibilité, le manque de communication ainsi que l’opacité des manœuvres financières du groupe fondent l’argumentation de l’opposition.
La perte de crédibilité de l’ancien président Bertrand Meunier joue largement en faveur des actionnaires, dont la cause surcharge l’espace médiatique. En effet, il annonce à l’AG du 28 juin qu’« aucune augmentation de capital n’est prévue » xiv, et que le projet initial de scission reste identique. Or à peine un mois plus tard, l’annonce de la cession de Tech Foundation à Daniel Krétinsky, accompagné d’une recapitalisation sur Evidian remet largement en cause ces propos. De telles opérations nécessitent plusieurs mois de préparation, qui aurait en réalité commencé en début d’année 2023. De plus, les 800 000€ de jetons de présence partagés annuellement entre les membres du board font jaser, tout comme les extravagants parachutes dorés.
Contrastant avec les difficultés pécuniaires actuelles, ces rémunérations du board contribuent à rallier l’opinion publique à la cause des actionnaires, pourtant peu populaires dans la culture française de l’entreprisexvi . Notons que les rapports financiers annuels d’Atos montrent une réserve de cash de 2 milliards d’euros, dont on ne parle que très peu. Aggraver la situation financière du groupe dans les médias, en laissant croire à une « faillite » prochaine, pourrait être une stratégie d’opportunistes gravitant autour du dossier.
Ce type de désinformation permet alors de racheter à bas prix les titres vendus massivement par les plus frileux, et d’attendre la remontée du titre induite par la vérification des informations. Formation de l’opposition : des réactions isolées vers une association actionnariale Bien que la CA se tienne le 1er août en plein été, l’annonce de la vente de Tech Foundation à Krétinsky ne passe pas inaperçue. L’exposition médiatique est telle, que les réactions d’opposition sont immédiates : plus de quatre-vingts parlementaires Les Républicains écrivent une Tribune à l’Elyséexx , le lendemain de l’annonce. L’impact est réel sur le cours d’Atos, qui perd plus de 45% de sa valeur en quelques séances. Enfin, une note de l’ancien administrateur du CEA Daniel Verwaerde parvient à l’Elysée.
C’est l’intervention d’un acteur de poids, qui requiert un plan de sauvetage pour la souveraineté numérique auprès de l’Elysée, face à celui de la revente au magnat tchèque. L’interaction de nombreux actionnaires minoritaires, via le site atos.bourse.blog favorise une certaine unité à travers l’association l’Union des actionnaires d’Atos en colère (UDAAC), créée le 24 août par Francis Unal et Mohamed Farhat. L’Udaac propose une stratégie calquée sur la fronde syndicale réussie d’Unibailxxii, en situation d’opposition interne similaire à celle d’Atos.
Ils soumettront un premier courrier au board le 11 septembrexxiv, avant de saisir l’AMF le 20 septembrexxv. Depuis, l’association tente de convoquer une assemblée générale exceptionnelle (AGE), afin d’y inscrire des résolutions remaniant le boardxxvi. Mais avec ses 0,76% au capital du groupe, l’association d’actionnaires est encore loin des 5% requis pour convoquer une AGE. Un atout externe majeur : l’avocate engagée Sophie Vermeille conseille l’UDAAC Très sollicitée dans les combats actionnariaux, Sophie Vermeille s’est particulièrement illustrée sur le dossier Casino. Elle a multiplié les actions offensives sur tous les fronts pour obtenir une clarification sur la comptabilité opaque du groupe : ses lettres publiques au Parquet national financier (PNF), aux administrateurs de Casino, au Haut Conseil du commissariat aux comptes, 4 et ses messages publiés sur Facebook et LinkedIn ont eu raison du PDG Jean-Charles Naourix .
La juriste a fondé son propre cabinet Vermeille & Co en 2013, disposant ainsi d’une indépendance incontestable. Elle assume son soutien jusqu’au bout, bien que ciblée par de nombreuses procédures judiciaires. L’avocate a notamment été sollicitée pour aider l’UDAAC à convoquer une AGE. Sophie Vermeille a pu développer une stratégie sur une option juridique encore inexploitée lors des campagnes activistes. Lorsque l’actionnariat est très dilué, il peut saisir directement le tribunal de Commerce si la situation est considérée « urgente ».
Le président du tribunal nomme alors un mandataire chargé de convoquer l’AG. Changement d’échelle avec l’engagement de procédures judiciaires La plainte déposée par le fonds minoritaire Alix AM auprès du PNF ouvre un nouveau volet juridique le 22 septembre. Le directeur général Nourdine Bihame et Diane Galbe de la direction opérationnelle y sont accusé de corruption active et passive. Pour l’administrative indépendante Caroline Rouellan, c’en est trop : elle quitte le board le 4 octobre, le jour du changement de directeur général. Arrivée quelques mois après le départ de Colette Neuville en 2022, Caroline Rouellan incarnait la défense des actionnaires minoritaires. C’est pourquoi sa démission ternit énormément l’image, déjà mauvaise de la gouvernance d’Atos.
La cascade d’actions offensives se poursuit avec le dépôt d’une deuxième plainte au PNF, celle du fonds activiste CIAM CI. Dix jours plus tard, le syndicat CGT Atos/bull saisit également l’AMF et ordonne à la gouvernance d’Atos de rendre des comptes dans une nouvelle lettre ouverte. Fronde actionnariale schématisée par Anne-Cécile Gaillard, fondatrice de Médicis- 20 octobre 2023 ; 5 La tête d’Atos sur la défensive, mais proactive sur sa stratégie d’influence auprès des plus grands Deux nouveaux acteurs principaux viennent défendre leurs intérêts dans le bras de fer toujours en cours Influence indirecte de l’Etat, frileuse sur le sujet Dès 2022, l’Institut des Hautes Etudes pour la Défense Nationale (IHEDN) avait signalé au ministre des Armées, Sébastien Lecornu un risque pour la souveraineté numérique et la dissuasion nucléaire. En effet, aucune condition juridique ou institutionnelle ne met en place des gardes fous effectifs au sein des entreprises essentielles et sur les marchés financiers français.
Pourtant, l’Etat est resté discret, évitant de politiser le dossier Atos, auquel plusieurs personnes politiquement exposées sont liées. Des conflits d’intérêts mêlant politiques, cabinets de conseil et la gouvernance d’Atos pourraient gêner l’Elysée pour se positionner clairement sur le dossierxlix . « Tout est une question de volonté de l’exécutif », nous confiait Alain Juillet à ce sujet en octobre. Il évoquait notamment les dérives capitalistes d’un gouvernement désintéressé de l’intérêt général, et dépourvu de toute ambition de construire un quelconque projet économique. Il faudra attendre la très forte médiatisation secouant Atos depuis l’été, pour jouer sur un 3e échiquier politique, en plus du sociétal et économique. En effet le 19 septembre, Alexis Kohler place Bertrand Meunier sous la tutelle de Thomas Courbe à la tête de la direction générale des entreprises (DGE), et d’Alexandre Lahousse de la direction générale de l’armement (DGA) .
Si la tutelle prend fin avec la démission de Bertrand Meunier le 16 octobre, la nomination de Laurent Collet-Billon à la vice-présidence affermit le contrôle régalien d’Atos. En effet, le bras droit du nouveau président Jean Pierre Mustier a dirigé la DGA de 2008 à 2017 et semble disposer à veiller sur les intérêts stratégiques de l’Etat. Les parlementaires forcent la main à l’état avec une demande de nationalisation Cédric Perrin, le sénateur à l’origine de la tribune signée par les 82 parlementaires dénonce la responsabilité de l’Elysée, dans le volet souveraineté.
Il alerte, que « Kretinsky est en train de racheter la France par appartements avec la bénédiction du clan Macron et Kohler, qui ont joué un rôle actif dans ce dossier ». Le socialiste Philippe Brun poursuit la stratégie offensive visant à faire réagir le gouvernement. C’est ainsi qu’un amendement au Budget Finances 2024, a proposé la nationalisation temporaire des activités stratégiques d’Atos le 23 octobre. Si certains y ont vu une protection de la souveraineté, d’autres pensent à une « pure manœuvre politique » dans la nationalisation de cette société pourtant tournée vers l’international. Le 8 novembre, Bruno Le Maire a refusé cet amendement, indiquant que sa « responsabilité n'est pas d'investir dans l'entreprise, c'est de protéger les technologies les plus sensibles ». L’action avait dégringolé de 10% après l’annonce des projets de nationalisation, atteignant les 4,41€ par titre. L
e moment était ainsi propice pour acheter du capital, sous les radars des 5% de l’AMF. 6 Le dernier Game changer : apparition surprise d’un actionnaire de référence A la tête de l’entreprise du numérique Onepoint, David Layani est monté à 9,9% au capital d’Atoslvii. Profitant des 4 jours de délai autorisés pour se déclarer auprès de l’AMF, il surgit inopinément en actionnaire de référence le jeudi 2 novembre. Cet investissement de 70 millions d’euros lui octroie la possibilité de soumettre un, voire deux nouveaux administrateurs au CA, et donc de peser dans les décisions stratégiques du groupe. Recalé par l’ancien président du CA sur son offre de rachat d’Eviden en octobre 2022, David Layani apparait aujourd’hui proche de la nouvelle gouvernance. Il affirmait en effet soutenir le projet de cession de TFCo à Krétinsky.
De plus, ce nouveau poids lourd, très proche d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe entre dans l’arène à un moment clé du plan de Sophie Vermeille. En effet, l’arrivée d’un actionnaire de référence bloque la possibilité de convoquer une AGE d’urgence, comme le soulignent les membres de l’Udaac, méfiants. CIAM CI souligne aussi le risque d’une prise de contrôle des actifs d’Atos induisant directement du pouvoir au CA. D’un autre côté, l’activiste Hervé Lecesne rassure les actionnaires en rappelant leur objectif majeur, partagé avec le dirigeant de Onepoint : éviter l’augmentation du capital de 900 millions d’euros. S’il était question de cession d’actifs en cas d’acquisition d’Eviden par Layani, afin de dégager de la liquidité, la levée de fonds de Onepoint ce mercredi 8 novembre donne un nouvel éclairage à la situation.
La branche crédit du géant américain du private equity Carlyl a en effet accordé un financement long terme de 500 millions d’euros à l’entreprise de David Layani. Ceci pourrait lui permettre d’acheter les 54% que représente la partie digitale d’Eviden, estimée aux alentours de 800 millions d’euros. Dans cette optique, Tech Foundation resterait chez Atos avec la moitié d’Eviden, portée par Syntel. Le milliard d’euros qui justifiait l’augmentation de capital à 900 millions ne serait alors plus d’actualité, puisque David Layani apporterait une somme similaire en rachetant la partie BDS qu’il convoite depuis octobre 2022. Si un tel scénario venait à se produire, les activités sensibles resteraient sous le giron du français Onepoint, tandis que les actionnaires ne seraient ni spoliés ni dilués à travers des opérations douteuses. David Layani serait le grand gagnant de l’affaire, et Atos privé de sa partie digitale n’aurait plus que 300 millions d’euros à trouver.