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Thierry Breton
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En 1974, lorsqu'il accède au pouvoir à 48 ans, Valéry Giscard d'Estaing hérite d'un endettement de la France de 14,5 % par rapport au produit intérieur brut (PIB). Le 21 décembre prochain, lorsqu'Emmanuel Macron fêtera ses 47 ans, l'endettement de la France - quasiment multiplié par dix en un demi-siècle - dépassera les 112 %. Le recours à l'endettement - aux générations futures, donc - pour financer jusqu'à l'intenable notre modèle social, les conséquences de chocs imprévus, voire parfois un aventurisme économico-politique, est devenu, en cinquante ans, une spécificité française.
Comment en est-on arrivé là et qui en est, ou plutôt qui en sont les principaux responsables ?
Revenons sur l'évolution du ratio dette sur PIB au cours des cinquante dernières années et à son corollaire, la capacité de remboursement de la France. Cet indicateur est plus pertinent que la seule valeur absolue de notre dette, pour suivre l'évolution de nos performances dans la durée, car il intègre l'impact de la croissance et de l'inflation. Si la question vaut d'être posée, c'est naturellement parce qu'elle dépasse largement le champ de la macroéconomie et qu'elle dit beaucoup sur notre modèle socioculturel.
Il n'est pas question de décerner blâmes ou satisfecit mais de mettre en lumière, par l'analyse des performances de chacun, les racines du mal qui mine le pays à cause de son addiction à la dette. Une évidence s'impose : ce n'est pas de mieux d'Etat dont nous avons besoin mais de moins d'Etat.
Le quinquennat Sarkozy marque le début d'un décrochage massif - et mortifère - de notre endettement face à celui de l'Allemagne. Alors que la France était entrée dans la crise en meilleure position - avec un endettement en 2006 de 64,6 % contre 66,7 % pour l'Allemagne -, les courbes avaient significativement divergé fin 2012, le ratio de la France ressortant à 90,6 % et celui de l'Allemagne restant limité à 81,1 %.
Au nombre des facteurs qui entrent en ligne de compte pour expliquer cet accroissement massif de 25 points de PIB en cinq ans, un certain nombre de décisions économiques contracycliques ou à contresens, dont la loi Tepa (travail, emploi, pouvoir d'achat).
Le mythe mitterrandien du « travailler moins tout en maintenant un niveau élevé de prestations sociales » massivement financé à crédit a survécu à son auteur. Il est l'une des principales dynamiques de la dramatique dérive de nos finances publiques qui, aujourd'hui, menace la pérennité même de notre modèle social. Personne, à gauche, n'a eu le courage politique de confronter le dogme à la réalité, condition sine qua non à la refondation d'une gauche sociale démocrate et moderne de gouvernement.
La France, grâce à la politique du « quoi qu'il en coûte », a été l'un des pays les plus généreux et les plus réactifs. La crise de l'énergie et les dispositifs destinés à compenser l'inflation ont pesé lourdement sur l'endettement. Non gagés, la nécessaire décrue des prélèvements obligatoires visant à accroître, non sans succès, l'attractivité du pays, la « facture gilets jaunes », la suppression de la taxe d'habitation sont parmi les facteurs qui, avec la réforme trop tardive de la loi sur les retraites, ont accentué la dérive spontanée des déficits et hissé l'endettement à plus de 3.200 milliards d'euros.
Sur la fin du mandat du président Chirac, la France, suivant en cela les recommandations du rapport Pébereau, va s'attaquer résolument à la réduction de son endettement. Son action a débouché sur une baisse de près de 3 points en deux ans (de 67,4 % en 2005 à 64,5 % en 2007) et au retour à un excédent primaire en 2006, c'est-à-dire un budget à l'équilibre avant charge des intérêts de la dette. Cet élan sera stoppé net en juillet 2007 après que Nicolas Sarkozy, nouvellement élu, eut annoncé à l'Eurogroup que la France renonçait à sa trajectoire de réduction d'endettement à 60 %, programmée pour l'horizon 2010.
Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac se retrouvent côte à côte sur le podium des présidents les plus « vertueux ». Emmanuel Macron et François Hollande, dont le destin semble décidément lié, partagent une part contributive similaire durant leur mandat. Enfin, si tout semble opposer François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, ils auront été l'un et l'autre, le second surtout, l'avers et le revers d'une même réalité : les deux plus importants contributeurs à ce mal français qu'est notre préférence pour le déficit et la dette.
Alors que la France fait désormais partie des pays européens les plus laxistes en matière de finances publiques et que la Commission européenne a ouvert à son encontre une procédure pour déficit excessif, sachent nos faiblesses passées éclairer ceux qui s'apprêtent à prendre des décisions essentielles pour l'avenir du pays. Quand la France a résolument baissé son endettement, ce fut au prix d'une politique volontariste , prioritaire, clairement affichée et déroulée contre vents et marées.
Le laisser-aller, les demi-mesures, le seul objectif du « mieux d'Etat », cela n'a jamais marché depuis 50 ans.
Pour lutter contre le chômage structurel, la baisse de compétitivité, le plafonnement de la croissance et de l'innovation, et pour sauvegarder notre modèle social, c'est au « moins d'Etat » qu'il faut s'attaquer. Résolument.
Thierry Breton est ancien ministre de l'Economie des finances et de l'industrie, ancien commissaire européen au marché intérieur.
(1) De 1993 à 1995, Edouard Balladur, Premier ministre de cohabitation, avait augmenté l'endettement de plus de 10 points conséquemment à la crise du Système Monétaire Européen de 1993 et l'explosion du déficit à plus de 6 %.
Tribune publiée par Les Echos le 6 octobre 2024 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/crible/dette-mieux-detat-non-moins-detat-2123513
Dette : mieux d'Etat ? Non, moins d'Etat!
Thierry Breton
Thierry Breton
Entrepreneur. Teacher. Policy Maker.
Publié le 6 oct. 2024+ Suivre
En 1974, lorsqu'il accède au pouvoir à 48 ans, Valéry Giscard d'Estaing hérite d'un endettement de la France de 14,5 % par rapport au produit intérieur brut (PIB). Le 21 décembre prochain, lorsqu'Emmanuel Macron fêtera ses 47 ans, l'endettement de la France - quasiment multiplié par dix en un demi-siècle - dépassera les 112 %. Le recours à l'endettement - aux générations futures, donc - pour financer jusqu'à l'intenable notre modèle social, les conséquences de chocs imprévus, voire parfois un aventurisme économico-politique, est devenu, en cinquante ans, une spécificité française.
Comment en est-on arrivé là et qui en est, ou plutôt qui en sont les principaux responsables ?
Revenons sur l'évolution du ratio dette sur PIB au cours des cinquante dernières années et à son corollaire, la capacité de remboursement de la France. Cet indicateur est plus pertinent que la seule valeur absolue de notre dette, pour suivre l'évolution de nos performances dans la durée, car il intègre l'impact de la croissance et de l'inflation. Si la question vaut d'être posée, c'est naturellement parce qu'elle dépasse largement le champ de la macroéconomie et qu'elle dit beaucoup sur notre modèle socioculturel.
Addiction à la dette
À l'heure où la France semble découvrir, atterrée, la situation financière dramatique qui est la sienne, une lecture de la progression de l'endettement sous les six dernières présidences donne un éclairage inédit, parfois inattendu, des causes et circonstances de notre dérive collective. Elle permet d'en extraire une interprétation archéologique des strates de décisions politiques qui ont constitué notre dette. Un mot sur la méthodologie : afin d'obtenir un classement juste et équitable, nous retiendrons comme indicateur pertinent l'accroissement du ratio d'endettement annuel du pays sur la durée de chacun des mandats de nos présidents successifs. Et nous débuterons par la présidence qui, sur la foi de ces indicateurs, a été la plus importante contributrice à la situation actuelle. Pour finir par celle qui l'aura été le moins.Il n'est pas question de décerner blâmes ou satisfecit mais de mettre en lumière, par l'analyse des performances de chacun, les racines du mal qui mine le pays à cause de son addiction à la dette. Une évidence s'impose : ce n'est pas de mieux d'Etat dont nous avons besoin mais de moins d'Etat.
. Présidence de Nicolas Sarkozy
De mai 2007 à mai 2012, l'augmentation de l'endettement généré sous le mandat du successeur de Jacques Chirac a atteint 24,7 points (de 64,5 % à 89,2 %). Soit une moyenne de 4,94 points par an qui en fait la présidence la plus dépensière (la dépense n'étant pas l'unique critère du déficit) de la Ve République. Comme les dirigeants des autres pays d'Europe, Nicolas Sarkozy, c'est vrai, a dû affronter la crise bancaire des subprimes et des dettes souveraines. Mais il aura été le plus dépensier de tous en étant à la genèse d'un « quoi qu'il en coûte » massif avant l'heure. L'Allemagne - qui a connu la même crise bancaire de l'autre côté du Rhin - a vu pour sa part son endettement évoluer de 13,3 points seulement (de 66,7 % à 80 %) sur la même période. Près de deux fois moins qu'en France.Le quinquennat Sarkozy marque le début d'un décrochage massif - et mortifère - de notre endettement face à celui de l'Allemagne. Alors que la France était entrée dans la crise en meilleure position - avec un endettement en 2006 de 64,6 % contre 66,7 % pour l'Allemagne -, les courbes avaient significativement divergé fin 2012, le ratio de la France ressortant à 90,6 % et celui de l'Allemagne restant limité à 81,1 %.
Au nombre des facteurs qui entrent en ligne de compte pour expliquer cet accroissement massif de 25 points de PIB en cinq ans, un certain nombre de décisions économiques contracycliques ou à contresens, dont la loi Tepa (travail, emploi, pouvoir d'achat).
. Présidence de François Mitterrand
En quatorze ans, de mai 1981 à mai 1995, l'augmentation de l'endettement de la France passe de 21,3 % à 52,65 %, soit 31,35 points durant deux septennats qui, certes, comportent deux phases de cohabitation de deux ans chacune (1). En moyenne, notre endettement a crû de 2,25 points par an. François Mitterrand aura été l'inventeur du financement, par l'endettement et donc par les générations futures, des « avancées sociales à la française » qui se sont notamment concrétisées par la réduction du temps de travail, la 5e semaine de congés payés, la retraite à 60 ans, l'embauche de 1,5 million fonctionnaires, les nationalisations…Le mythe mitterrandien du « travailler moins tout en maintenant un niveau élevé de prestations sociales » massivement financé à crédit a survécu à son auteur. Il est l'une des principales dynamiques de la dramatique dérive de nos finances publiques qui, aujourd'hui, menace la pérennité même de notre modèle social. Personne, à gauche, n'a eu le courage politique de confronter le dogme à la réalité, condition sine qua non à la refondation d'une gauche sociale démocrate et moderne de gouvernement.
. Présidence de François Hollande
En cinq ans, de mai 2012 à mai 2017, l'augmentation de l'endettement a été de 9 points (de 89,2 % à 98,2 %), soit de 1,8 point par an. Nouvellement élu, le président Hollande refuse de reprendre à son compte les conclusions du rapport du premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, sur le quinquennat Sarkozy. Fustigeant l'accroissement de 50 % de la dette de la France en cinq ans (de 1.200 à 1.800 milliards), ce rapport préconisait notamment des mesures immédiates et radicales de redressement des finances publiques. Au lieu de quoi, et malgré l'effet d'aubaine offert par la baisse des taux d'intérêt pour réduire la dette, on laissera filer dépenses et déficits.. Présidence d'Emmanuel Macron
En sept ans et sept mois, l'augmentation de l'endettement de la France s'est élevée à 13,8 points (de 98,2 % à 112 %), soit 1,8 point d'endettement par an. Contrairement au sentiment répandu, Emmanuel Macron a donc réalisé exactement la même 'performance' que François Hollande en termes de contribution à l'endettement public. Le président Macron, on le sait, a dû faire face à la crise du Covid et réagir, comme tous les pays, à ses multiples conséquences économiques et sociales.La France, grâce à la politique du « quoi qu'il en coûte », a été l'un des pays les plus généreux et les plus réactifs. La crise de l'énergie et les dispositifs destinés à compenser l'inflation ont pesé lourdement sur l'endettement. Non gagés, la nécessaire décrue des prélèvements obligatoires visant à accroître, non sans succès, l'attractivité du pays, la « facture gilets jaunes », la suppression de la taxe d'habitation sont parmi les facteurs qui, avec la réforme trop tardive de la loi sur les retraites, ont accentué la dérive spontanée des déficits et hissé l'endettement à plus de 3.200 milliards d'euros.
. Présidence de Valéry Giscard d'Estaing
En sept ans, de mai 1974 à mai 1981, l'augmentation de l'endettement a atteint 6,9 points (de 14,4 % à 21,3 %), soit 0,98 point par an. Le septennat du président Giscard d'Estaing a été percuté par le premier choc pétrolier de 1973 dont les conséquences économiques se feront ressentir jusqu'en 1976 avant d'être aggravées par le second choc de 1979. Le rôle du Premier ministre Raymond Barre, artisan d'une politique de rigueur budgétaire, a été déterminant pour limiter les conséquences et la première envolée de la dette… à un peu plus de 20 % !. Présidence de Jacques Chirac
En douze ans, de mai 1995 à mai 2007, l'augmentation de l'endettement a été de 11,85 points (de 52,65 % à 64,5 %), soit de 0,98 point par an. Cette contribution annuelle est à l'identique de celle de Valéry Giscard d'Estaing. Il convient, bien entendu, d'intégrer dans ce bilan les cinq années de cohabitation Jospin, de juin 1997 à mai 2002, période de croissance soutenue qui marque le passage à l'euro et au cours de laquelle l'endettement va passer de 60,7 % à 59,3 %.Sur la fin du mandat du président Chirac, la France, suivant en cela les recommandations du rapport Pébereau, va s'attaquer résolument à la réduction de son endettement. Son action a débouché sur une baisse de près de 3 points en deux ans (de 67,4 % en 2005 à 64,5 % en 2007) et au retour à un excédent primaire en 2006, c'est-à-dire un budget à l'équilibre avant charge des intérêts de la dette. Cet élan sera stoppé net en juillet 2007 après que Nicolas Sarkozy, nouvellement élu, eut annoncé à l'Eurogroup que la France renonçait à sa trajectoire de réduction d'endettement à 60 %, programmée pour l'horizon 2010.
Nos faiblesses passées
En matière d'endettement public, les chiffres disent crûment et mieux que tout la vérité sur la part de chacun dans l'affaissement, sur 50 ans, de la France face à son son addiction à la dette.Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac se retrouvent côte à côte sur le podium des présidents les plus « vertueux ». Emmanuel Macron et François Hollande, dont le destin semble décidément lié, partagent une part contributive similaire durant leur mandat. Enfin, si tout semble opposer François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, ils auront été l'un et l'autre, le second surtout, l'avers et le revers d'une même réalité : les deux plus importants contributeurs à ce mal français qu'est notre préférence pour le déficit et la dette.
En moyenne lissée, notre endettement se sera accru chaque année de 1,9 point de PIB depuis 1974 ; un chiffre à mettre en parallèle avec la moyenne annualisée de nos déficits au cours de la période, soit 57,4 milliards d'euros par an.Le laisser-aller, les demi-mesures, le seul objectif du 'mieux d'Etat', cela n'a jamais marché depuis 50 ans.
Alors que la France fait désormais partie des pays européens les plus laxistes en matière de finances publiques et que la Commission européenne a ouvert à son encontre une procédure pour déficit excessif, sachent nos faiblesses passées éclairer ceux qui s'apprêtent à prendre des décisions essentielles pour l'avenir du pays. Quand la France a résolument baissé son endettement, ce fut au prix d'une politique volontariste , prioritaire, clairement affichée et déroulée contre vents et marées.
Le laisser-aller, les demi-mesures, le seul objectif du « mieux d'Etat », cela n'a jamais marché depuis 50 ans.
Pour lutter contre le chômage structurel, la baisse de compétitivité, le plafonnement de la croissance et de l'innovation, et pour sauvegarder notre modèle social, c'est au « moins d'Etat » qu'il faut s'attaquer. Résolument.
Thierry Breton est ancien ministre de l'Economie des finances et de l'industrie, ancien commissaire européen au marché intérieur.
(1) De 1993 à 1995, Edouard Balladur, Premier ministre de cohabitation, avait augmenté l'endettement de plus de 10 points conséquemment à la crise du Système Monétaire Européen de 1993 et l'explosion du déficit à plus de 6 %.
Tribune publiée par Les Echos le 6 octobre 2024 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/crible/dette-mieux-detat-non-moins-detat-2123513