«Atos doit mettre en place une meilleure gouvernance», affirme Léo Apotheker
Agé de 69 ans, Léo Apotheker, qui a dirigé notamment HP et SAP, est proposé par trois actionnaires minoritaires, menés par le fonds d’investissement Symocore, pour présider le conseil d’administration d’Atos. Il critique le président actuel, Bertrand Meunier, qu’il tient pour responsable des difficultés du groupe. Quels sont ses atouts ? Quel est son projet pour Atos ? Que veut-il changer ? A deux jours avant l'assemblée générale mixte des actionnaires, qui doit décider de son sort, il répond aux questions de L’Usine Nouvelle.
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Ridha Loukil
26 juin 2023 \ 08h00
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© Sycomore
Léo Apotheker veut s'emparer de la présidence du conseil d'administration d'Atos pour sauver le groupe
L’Usine Nouvelle - Vous convoitez le poste d’administrateur et président du conseil d’administration d’Atos. Pour quoi faire?Léo Apotheker - J’ai une carrière de près de 40 ans dans l’industrie des technologies de l’information en France et dans le monde. J’estime qu’il important de disposer d’un écosystème numérique dynamique et florissant en France et en Europe pour créer de la richesse. Je consacre beaucoup de mon temps à aider des sociétés à prospérer. Je suis depuis 2014 administrateur chez Schneider Electric. J’en ai été l’administrateur référent indépendant et j’ai contribué à mettre en place un certain nombre d’outils pour favoriser le dialogue avec nos actionnaires. C’est pour l’ensemble de mon expertise que j’ai été sollicité à de nombreuses reprises ces derniers temps pour avoir mon avis sur Atos.
Je me suis rendu compte que la société était dans une situation dramatique, avec une chute de sa valeur en bourse de 80% en trois ans. Pourtant, la demande dans le numérique n’a jamais été aussi forte. On assiste à un naufrage industriel sous nos yeux. Derrière cette situation, se cache une accumulation d’erreurs stratégiques. Le conseil d’administration est garant de la stratégie de l’entreprise. Il n’a pas fait son boulot. J’ai décidé par obligation morale d’apporter mon expertise pour sauver l’entreprise.
Vous êtes très critique vis-à-vis de Bertrand Meunier, l’actuel président du conseil d’administration. Que lui reprochez-vous ?Je lui reproche simplement de ne pas avoir joué son rôle de président du conseil d’administration. Le premier job du conseil d’administration est de définir la stratégie, le deuxième de nommer les dirigeants et le troisième d’être le garant de la création de valeur au sens large pour toutes les parties prenantes. Il y a eu des revirements stratégiques majeurs en trois ans - et je suis prudent dans mon jugement. On est passé d’une stratégie où l'on voulait garder l’intégrité d’Atos et développer la société en réalisant de petites acquisitions, à la tentative avortée de rachat de DXC Technology, un mastodonte encore plus centré sur les services classiques d’infogérance. On arrive finalement à l’idée de scinder le groupe en deux sociétés. On a raconté aux salariés trois histoires différentes.
A l’exception d’une administratrice, le conseil d’administration est composé de membres qui ne connaissent pas le métier d’Atos. Je reproche à Bertrand Meunier de ne pas faire rentrer l’expertise nécessaire pour définir la bonne stratégie. Mais ma critique la plus patente est la suivante : Bertrand Meunier est au conseil d’administration d’Atos depuis 13 ans, ce qui en fait la personne la plus influente du conseil. Il a donc été une partie prenante aux décisions antérieures à l’origine des difficultés actuelles d’Atos. Il en est responsable. Le sens de l’éthique et de la responsabilité voudrait qu’il jette l’éponge et qu’il laisse la place à quelqu’un de compétent.
Les résultats du premier trimestre 2023 font état d’une amélioration plus rapide que prévu de la situation pour Tech Foundations, l’activité d’infogérance qui plombe le groupe. N’est-ce pas la preuve que l’action de la direction est bonne ?Je n’ai aucune critique vis-à-vis de la direction générale actuelle. Toutes les discussions tournent autour du conseil d’administration, de son président, de sa gouvernance et de sa capacité à définir la bonne stratégie de l’entreprise. D’ailleurs, si je deviens président du conseil d’administration, je ne nommerai pas de nouveau directeur général. Je laisserai en place le triumvirat qui dirige actuellement le groupe.
Vos détracteurs mettent en avant votre âge de près de 70 ans et vos déboires chez HP pour dire que vous n’êtes pas l’homme de la situation. Que leur répondez-vous ?Je veux remettre le conseil d’administration en ordre de marche. Mon expérience est un atout pour Atos. Je suis le premier à avoir signé dans les années 2000 l’accord stratégique entre Atos et SAP, qui soutient plusieurs milliers d’emplois chez Atos. En 2010, j’ai été appelé à la tête de HP pour changer la stratégie. J’ai proposé de scinder le groupe en deux sociétés, ce qui a été fait plus tard. Le revirement stratégique a été de s’orienter vers les logiciels à haute valeur ajoutée. Le rachat de la société Autonomy, la première au monde à contextualiser le son, l’image et autres data, s’inscrit dans cette stratégie. On a découvert ensuite que les comptes de cette société étaient frauduleux, ce dont je n’étais pas responsable. J’ai néanmoins assumé mes responsabilités et démissionné.
Le conseil d’administration et la direction disent que ce n’est pas le moment de changer la gouvernance. Cela ajouterait de l’instabilité aux difficultés. Est-ce que vous leur donnez raison ?J'accueille cet argument avec le sourire. Chaque fois qu’il y a une volonté de changement, on crie à la déstabilisation. Ce qui crée l’instabilité, c’est la confusion stratégique permanente.
Si vous deveniez président du conseil d’administration, quels seraient les premiers changements que vous mettriez en place ? Est-ce que vous suspendriez le plan de scission entamé il y a un an ?Je ferai tout de suite entrer trois personnes du monde des technologies de l’information au conseil d’administration comme Danone l’a fait dans son domaine. Il important de mettre autour de la table des personnes expertes du métier. Une seule personne, c’est trop peu. Quant au plan de scission, nous travaillerons en partenariat avec la direction pour l’étudier plus en détail. Il est possible qu’il soit au final le meilleur plan pour Atos. Mais le diable peut se cacher dans les détails, et les détails sont très importants dans ce domaine. Le détourage des divisions Eviden et Tech Foundations doit être examiné avec soin pour être sûr qu’il sera bénéfique pour les deux sociétés et qu’il respectera les exigences de souveraineté. Par exemple, il y a une grande différence entre la cybersécurité pour la défense et la cybersécurité pour les entreprises. Pour s’assurer que le plan de scission est le meilleur pour Atos, il faudra aussi le confronter à tous les autres plans possibles. Les résultats trimestriels publiés en juin montrent que Tech Foundations se porte moins mal que prévu. Donc il faut éviter la précipitation, prendre le temps d’étudier le dossier et revenir vers les actionnaires avec le meilleur plan possible.
Compte-tenu des forces en présence, pensez-vous avoir de bonnes chances la résolution demandant votre nomination au Conseil d’administration soit adoptée lors de l’assemblée générale mixte du 28 juin ?Je ne le sais pas. Mais peu importe le résultat, plus rien ne sera comme avant. Même si la résolution pour ma nomination n’est pas adoptée, il y a un consensus pour demander à Atos de mettre en place une meilleure gouvernance.