Il y avait le prix. S'ajoute désormais un autre motif de divergence entre Atos et l'Etat sur le rachat des supercalculateurs liés au renseignement et à la dissuasion nucléaire. Au moment où Bercy ferraille pour acquérir les actifs de défense de l'ex-fleuron informatique, le ministère des Armées lui tire le tapis sous les pieds : il l'écarte du contrat « Asgard » visant à doter la nouvelle Agence ministérielle pour l'IA de défense d'un supercalculateur d'IA militaire.
« Situé au Mont Valérien à Suresnes, le supercalculateur classifié permettra de traiter souverainement des données secret-défense », avait annoncé en mars
Sébastien Lecornu dans « Les Echos » avec un objectif de mise en service en 2025. « Ce sera le plus gros calculateur dédié à l'IA et classifié en Europe ! », avait souligné le locataire de l'hôtel de Brienne. Un contrat significatif puisqu'il serait d'une durée maximale de huit ans et d'un montant plafond de 600 millions d'euros.
Problème : l'élu pressenti par la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (Dirisi), n'est pas tout à fait tricolore : il s'agit de l'Américain HP associé à Orange, mieux disant sur le prix et la performance, comme l'a révélé « La Tribune »… Et non d'Atos.
Agacement chez Atos
La décision de l'Etat d'écarter Atos au moment où il veut lui racheter ces mêmes actifs de défense questionne. « Quel est l'intérêt de dégrader le plan d'affaires d'un actif qu'on est justement en train de racheter ? », s'interroge-t-on agacé dans l'entourage du groupe. « La décision est totalement incohérente », souligne un autre.
A moins que l'Etat finisse par obtenir une baisse de prix in fine ? « Rien ne sera accepté qui ne soit pas dans l'intérêt social d'Atos », dit une autre source, alors que Bercy et Atos peinent à converger depuis le mois d'avril sur une valeur comprise entre 700 millions et un milliard d'euros et se renvoient offre et contre-offre.
Lire aussi :
IA : la France dévoile son plan pour devenir la première puissance militaire d'Europe
Big Data : faute de solution française, les services secrets signent à nouveau avec Palantir
Il faut dire que la situation d'Atos ne rassure pas complètement. Dans l'entourage du ministère des Finances, on assure qu'on veut aller au plus vite pour éviter de dégrader ces actifs.
En jeu dans ces négociations : les supercalculateurs employés notamment pour la dissuasion nucléaire (logés dans Advanced Computing), les systèmes utiles au commandement du programme Scorpion de l'armée de terre, à la navigation des forces navales et à la sécurisation des réseaux de communication à bord du nouveau
Rafale F4 (logés dans MCS) ainsi que les systèmes d'écoute d'Avantix.
S'y ajoute encore la cybersécurité qui sert les services de renseignement (logés dans Cybersecurity Products). Un pôle qui emploie au total 4.000 personnes et génère plus de 900 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel.
« Dans ce cas, HP pourrait racheter Atos »
Mais préférer l'américain HP pour un supercalculateur « classifié », au moment où l'Etat justifie le rachat des systèmes de communications pour les Armées en invoquant la
« protection des activités stratégiques » interpelle. Il faut éviter qu'elles « ne passent dans les mains d'acteurs étrangers », avait insisté en avril Bruno Le Maire, après le désistement d'Airbus.
« Dans cette logique, HP pourrait aussi très bien racheter les activités de défense d'Atos ! », s'étrangle une partie au dossier. Au sein du ministère des Armées, la décision ferait aussi grincer des dents.
Lire aussi :
Après l'approbation du plan de sauvegarde par les créanciers, la mission sauvetage d'Atos continue
Il y a aussi le sentiment d'un nouveau « raté » qui s'annonce : le
renseignement intérieur français s'était tourné vers le logiciel de
l'Américain Palantir, financé par le fonds de la CIA In-Q-Tel, pour analyser des sommes massives de données après les attentats de 2015. Une solution temporaire faute d'alternative française qui a fait couler beaucoup d'encre. Il aura fallu bientôt dix ans
pour développer une solution tricolore et l'appel d'offres est toujours en cours. Un appel d'offres
dont a été écarté Atos, avec Thales .
Le cas Palantir
Dans ce contexte, le député LR Olivier Marleix, membre de la commission des lois, s'est fendu d'une lettre au ministre des Armées Sébastien Lecornu vendredi dernier. « La question « d'intégrité » des équipements fournis se pose de manière évidente, comme pour tout équipement américain sensible, a fortiori s'agissant d'un équipement qui a vocation à être protégé par le secret-défense », souligne dans son courrier le député, au sujet du choix d'HP pour le supercalculateur de cyber-renseignement.
« Au moment où l'APE [Agence des participations de l'Etat, NDLR] construit une offre en consortium avec Dassault Aviation
et Thales pour acquérir cette activité de calcul très haute performance d'Atos, unique en Europe, il serait incompréhensible que le ministère des Armées affaiblisse cette entreprise stratégique nationale en lui préférant son concurrent américain », estime-t-il. Interrogés, ni le ministère des Armées, ni Bercy, ni Matignon n'ont fait de commentaire.
L'ex-fleuron français aurait en tout cas quinze jours pour contester la décision devant un tribunal administratif. A ce stade selon une source proche d'Atos, « aucune décision n'a été prise quant à un recours juridique ». En phase finale de restructuration financière, Atos va passer devant le juge du tribunal de commerce pour faire valider son plan de sauvetage le 15 octobre. Sa priorité immédiate n'est pas forcément d'aller ouvrir de nouveaux fronts judiciaires.
Anne Drif