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Atos demande un million d'euros en justice à un blog indépendant

L'entreprise Atos assigne en urgence le site Bourse.blog en justice et lui demande un million d'euros de préjudice. Devenu la bête noire de Philippe Salle, ce blog publiant des informations financières et sur la gouvernance d'Atos, au ton souvent sarcastique, voit sa pérennité mise en question.

Atos sort l'artillerie juridique lourde pour obtenir la fermeture du blog indépendant Bourse.blog (ex-Atos.Bourse). Simple particulier, auteur et fondateur de ce site qu'il alimente en contenus depuis la Thaïlande grâce à des sources internes très bien placées, Marc Prily est convoqué au tribunal judiciaire de Paris le 21 novembre. Gaëtan Cordier, associé du cabinet Eversheds Sutherland, demande pour le compte d'Atos la suppression de tous les contenus qu'il estime litigieux, ainsi que la clôture du blog, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard en cas de décision favorable. S'il était suivi, le montant de la réparation intégrale du préjudice subi serait particulièrement salé, atteignant un million d'euros. Cette somme figure déjà parmi les plus fortes réclamées à l'encontre d'un blog indépendant ces vingt dernières années. Accompagné de nombreuses captures d'écran, le projet d'assignation consulté par La Lettre compte plus de 2 000 pages, constitué pour l'essentiel d'un interminable constat d'huissier.

Une certitude, Philippe Salle a tenu sa promesse faite en juillet à ses employés. Dans un message interne, le patron d'Atos avait prévenu l'ensemble des 72 000 salariés qu'il allait "réfuter fermement les fausses affirmations diffusées récemment par certains sites web" (LL du 18/07/25). Son propos visait alors, sans le nommer, le blog aujourd'hui assigné.

Juridiquement, Atos s'est fondé sur des dispositions de la loi de confiance dans l'économie numérique (LCEN) pour intenter son action judiciaire auprès d'une juridiction parisienne, le blog litigieux étant accessible depuis la France. Le cabinet Eversheds Sutherland a utilisé une procédure accélérée au fond, qui permet à la partie souhaitant obtenir une décision de justice en urgence de la voir mise en œuvre sous quinze jours. "MAP" – pseudonyme de signature de Marc Prily – étant résident thaïlandais, le délai de convocation a été étendu à deux mois.

Service com' chahuté

À lire les arguments juridiques d'Atos, le blog s'est rendu coupable d'avoir outrepassé toutes les limites en matière de liberté d'expression. Injures à caractère racial, sexiste et religieux, diffusion de contenus couverts par le secret des affaires, violation du secret des correspondances et du secret professionnel, violation du RGPD, tout y passe. À l'appui de sa demande, le groupe évoque par exemple le fait que son service de communication a été déstabilisé à plusieurs reprises par les informations publiées (non seulement par le site de Marc Prily, mais aussi par le site labourse.info, également visé) et qu'il a été contraint de mobiliser des équipes entières pour préparer des contre-argumentaires en interne. Pourtant, plusieurs fois, le blog s'est plié à l'exercice du retrait d'articles contenant des informations sensibles à la suite de demandes de hauts dirigeants d'Atos.

Ce branle-bas de combat juridique n'est pas le premier que connaît le blogueur installé en Thaïlande. En 2023, Atos avait déjà tenté d'assécher les publications du site en prenant pour angle d'attaque celui de la propriété intellectuelle. Le groupe, présidé à l'époque par Bertrand Meunier, lui reprochait de faire une utilisation non conforme du nom de domaine "atos.blog", première adresse du site indépendant, jugée trop proche de l'URL atos.net (LL du 07/04/23). Le blog avait changé son graphisme et ensuite migré sous un autre nom de domaine. Cette fois-ci, l'assignation avec audience le 21 novembre au tribunal judiciaire de Paris est d'une tout autre ampleur.

Miroir déformant

Depuis son lancement en septembre 2022, soit près de quatre ans, le blog a publié de nombreuses informations exclusives, en premier lieu sur la stratégie financière, le montant de la dette et la restructuration d'Atos, certaines puisées tout en haut de l'organigramme du groupe. De façon insolente, il est classé à la cinquième ligne des résultats dans le moteur de recherche Google pour toute recherche sur "Atos". Si l'écriture des posts n'est pas toujours maîtrisée – ce dont l'auteur ne se cache pas –, le site a toujours suscité le plus vif intérêt de la part de certains salariés du groupe, intérêt jamais démenti depuis son lancement, et ce, malgré une audience confidentielle (500 vues par article environ).

Atos reproche aussi au site Bourse.blog d'avoir occasionné "une désorganisation interne majeure", ainsi qu'"une dégradation du climat social". Paradoxalement, le blog s'est posé en miroir d'un groupe en déclin dans un contexte de manque de transparence des dirigeants et d'une communication financière parfois erratique (LL du 22/11/24). Il a tiré parti d'un maelstrom d'incertitudes et des valses-hésitations au sein de l'état-major d'Atos depuis trois ans. Au risque d'un effet de loupe, grossissant tout ce qui était flou et dysfonctionnait.
 
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