INTERWIEW MEUNIER FIGARO 18.07.22
Ce plan prévoit de séparer en deux sociétés cotées distinctes les activités d'Atos. D'un côté, une entité (qui conservera le nom d'Atos) regroupera les activités historiques d'infogérance, autrement dit la gestion des infrastructures informatiques des entreprises et les centres de données. De l'autre, une nouvelle entreprise, baptisée Evidian, regroupera les activités digitales (cloud, intelligence artificielle, internet des objets, décarbonation) et la cybersécurité (big data & security, BDS). Atos a nommé un triumvirat chargé de mener à bien cette transformation autour de Nourdine Bihmane, nouveau directeur général, Diane Galbe et Philippe Oliva.
À LIRE AUSSIScission, crise de gouvernance: la descente aux enfers d'Atos
«Le scénario choisi par le conseil d'administration est de loin le plus créateur de valeur pour l'ensemble des parties prenantes, avec un schéma que nous maîtrisons de A à Z», explique Bertrand Meunier au Figaro, insistant sur deux critères qui l'ont guidé: «l'intérêt de toutes les parties prenantes et la maximisation de la création de valeur pour les actionnaires à horizon de 12 à 18 mois».
Le groupe Atos n'a pas besoin d'augmentation de capital et n'en prévoit pas
Bertrand Meunier
Un choix opéré après une étude approfondie et rationnelle de tous les autres scénarios, assure-t-il, de la scission à l'introduction en bourse des activités digitales et cyber. Comment expliquer alors un tel scepticisme des marchés? Selon Bertrand Meunier, la chute du titre observée depuis sa présentation s'explique principalement par deux éléments. «L'annonce du départ de Rodolphe Belmer a surpris, tout comme l'ampleur des restructurations nécessaires, et les marchés ont dû intégrer qu'Atos aurait besoin de 1,6 milliard d'euros, dont 1,1 milliard pour le futur Atos (TFCo)», estime celui qui préside le conseil d'administration d'Atos depuis 2019.
La dégradation - attendue - de la note d'emprunt du groupe par l'agence S&P la semaine dernière n'est pas une source d'inquiétude. «Le groupe Atos n'a pas besoin d'augmentation de capital et n'en prévoit pas», assure Bertrand Meunier. Et de reprendre les mots de l'agence de notation dans son communiqué: «La liquidité d'Atos est forte, notamment grâce à son niveau de trésorerie, et sa politique financière est appropriée (...). Le niveau de liquidité prévu du groupe devrait lui donner les moyens de mener à bien son plan de transformation.»
Fronde d'actionnaires
La chute de la capitalisation du groupe à 1,2 milliard d'euros pourrait cependant compliquer la tâche de BNP Paribas et JPMorgan, les deux banques mandatées pour assurer le financement du plan stratégique, dans un contexte de remontée des taux d'intérêt et de marché bancaire plus frileux à prêter. «Je n'ai aucune remontée à ce niveau», indique le président.
Bertrand Meunier ne semble pas plus inquiet de la fronde d'actionnaires, qui aimeraient le voir quitter ses fonctions. «Nous sommes en dialogue permanent avec les actionnaires. Le retour d'une grande majorité d'entre eux sur ce plan stratégique est totalement positif, et ils nous disent "tenez bon"», assure-t-il. «Bien sûr, nous pouvons comprendre que certains actionnaires individuels, dont le portefeuille comporte une importante part d'actions Atos, soient inquiets au vu de l'évolution du cours. On leur demande d'être patients», ajoute-t-il.
À LIRE AUSSIAtos dans la tourmente boursière avant son plan stratégique
Certains d'entre eux - pas uniquement des individuels - se sont plaints auprès du conseil d'administration et réclament une évolution de la gouvernance. «Suite à l'annonce du départ de Rodolphe Belmer, il est vrai qu'il y a eu un sujet d'incarnation du pouvoir. Dans ces cas-là, certains acteurs mécontents ont pu se retourner vers le président du conseil d'administration pour exprimer leur mécontentement. Mon cas personnel importe peu. C'est pour les 111.000 employés d'Atos que je me bats et que le conseil agit», se défend Bertrand Meunier.
Le président dément d'ailleurs toute vague de départs de cadres de premier ordre au sein du groupe qui n'adhéreraient pas en interne au projet stratégique. «Le corps social est complètement aligné avec le conseil d'administration et l'équipe dirigeante sur ce projet ambitieux», insiste celui qui affirme avoir reçu des gages de soutien lors du comité d'entreprise européen la semaine dernière. «Lors de l'arrivée de Rodolphe Belmer en début d'année, la gouvernance du groupe a été resserrée et le comité exécutif réduit de 22 à 11 personnes. Certaines d'entre elles expriment leur mécontentement à l'extérieur de l'entreprise», estime-t-il.
Nous avons signé de nombreux contrats pendant le second trimestre, y compris ces dernières semaines. Certains noms cités dans la presse (American Express, State Street, NDLR) ont même renforcé leurs liens avec Atos. Arrêtons cette œuvre de déstabilisation !
Bertrand Meunier
L'homme veut aussi tordre le cou aux rumeurs instillant un doute sur la dynamique commerciale. «Nous avons signé de nombreux contrats pendant le second trimestre, y compris ces dernières semaines. Certains noms cités dans la presse (American Express, State Street, NDLR) ont même renforcé leurs liens avec Atos. Arrêtons cette œuvre de déstabilisation!», tonne le président. Fin juin, Atos a remporté un nouveau contrat auprès de l'Otan, pour installer et configurer des systèmes de cybersécurité essentiels aux activités de l'organisation.
Les résultats semestriels publiés le 27 juillet prochain permettront d'en savoir davantage. «Certains acteurs semblent vouloir fragiliser Atos avec une campagne de déstabilisation externe, en se disant qu'ils pourraient potentiellement acheter à bon compte certaines activités d'Atos», ajoute le président.
Intérêt de certains groupes
Plusieurs groupes français n'ont pas caché leur intérêt pour les activités cybersécurité d'Atos: Thales, Orange Cyberdéfense, la filiale cyber d'Airbus... Mais aucun ne s'est manifesté auprès d'Atos: «Il n'y a eu aucune approche ou offre sur BDS. Si nous avions reçu une offre, nous l'aurions étudiée. Il n'y a eu aucune discussion», assure Bertrand Meunier, répétant n'avoir eu aucune dissension avec Rodolphe Belmer.
Garder ensemble les activités digitales et cyber au sein de la future Evidian reste la meilleure option, pour le conseil d'Atos, la migration sur le cloud des organisations s'accompagnant de problématiques de sécurité fondamentales. «Nous avons besoin d'un tout sur le plan de la création de valeur. Séparer la partie cyber fragiliserait les activités digitales. BDS est une activité stratégique, nous mènerons ce projet jusqu'au bout.» L'État suit avec attention le dossier, indiquait mi-juin le cabinet du ministre de l'Économie et des Finances. Bertrand Meunier les a rencontrés à plusieurs reprises. «La position de l'État, telle qu'elle nous a été exprimée, est très claire: tant qu'Atos est à même de financer elle-même son développement, il n'y a pas de raison que l'État considère qu'une solution indépendante n'est pas la meilleure», indique-t-il.
La tribune 11.09.23
Bertrand Meunier : « Il ny a rien de choquant pour Atos davoir demandé à Kretinsky dinvestir dans Eviden » (LA TRIBUNE)
Pour sa première prise de parole depuis lannonce du projet de restructuration dAtos, Bertrand Meunier, président du conseil dadministration, livre dans La Tribune ses vérités sur cette opération de scission annoncée au cœur de lété. Face aux nombreuses critiques sur la cession des activités dinfogérance, regroupées sous la bannière Tech Foundation (TFco), à lhomme daffaire tchèque Daniel Kretinsky, et surtout à lentrée de celui-ci à hauteur de 7,5% dans le capital dEviden, nouvelle dénomination de la partie cotée en bourse de lentreprise technologique française, lancien patron du fonds PAI défend ses choix. Daniel Kretinsky, qui naura aucun droit particulier comme actionnaire minoritaire dEviden, naura accès à aucune information classifiée en matière de défense. Notre dissuasion nucléaire nest donc en rien menacée selon lui. Le deal, dont la réussite repose sur la réalisation dune ugmentation de capital, va au contraire doter la France et lEurope dun acteur majeur dans le cyber, le cloud et lIA au service de notre souveraineté. Concernant la situation financière dAtos, il limpute à ses prédécesseurs dont les opérations de croissance externe ont été réalisées selon lui « avec une sélectivité discutable ou insuffisante » et les contrats signés alors étaient trop peu rentables au regard des coûts.
Propos recueillis Michel Cabirol et Philippe Mabille
11 Sept 2023, 6:00
LA TRIBUNE- Pourriez-vous, avant de nous clarifier lopération de cession de Tech Foundations que vous avez annoncée début août, revenir sur la situation économique et financière dAtos. Pourquoi est-elle aussi dégradée ?
BERTRAND MEUNIER- Permettez-moi de mettre cette situation dans une perspective historique. Jai hérité et le conseil dadministration aussi dun passé et dun passif. Alors que lenvironnement technologique a évolué de façon rapide, Atos a clairement pris du retard dans la migration vers le cloud. Le succès du cours de bourse dAtos dans les années 2010 était en réalité le fruit dune politique dacquisitions et dune forte croissance externe qui a été réalisée avec une sélectivité discutable ou insuffisante et de la signature de contrats dont la rémunération était trop faible au regard des coûts. En février 2021, les commissaires aux comptes ont émis une réserve sur les comptes dune de nos filiales américaines, qui était dailleurs une acquisition faite en 2014 dune activité de Xerox (840 millions deuros, ndlr).
Le groupe Atos vendait-il à perte ?
Atos prenait alors des paris sur le futur, en particulier dans les activités de Tech Foundations. A la suite de la réserve des commissaires aux comptes, une étude approfondie a été lancée pour comprendre les causes de ces réserves. Cela a conduit le conseil et moi-même à demander que des méthodes comptables plus conservatrices soient désormais appliquées. Deuxièmement, nous avons demandé une revue systématique des contrats en cours de réalisation, dont certains, tous signés avant 2020, ont fait lobjet dune dépréciation nécessaire. Ces dépréciations ont concerné beaucoup plus les contrats de Tech Foundations. Depuis 2020, tous les contrats signés sont rentables. Atos est aujourdhui dans la norme du secteur.
Vous imputez les réserves des commissaires aux comptes et la dégradation de la situation financière dAtos aux gouvernances qui vous ont précédé ?
Je constate simplement une situation. Le conseil dadministration, depuis que je le préside, sest montré très résolu à traiter ce problème et a toujours veillé à lintérêt dAtos sur le long terme, ainsi que des salariés et des actionnaires.
Et comment expliquez-vous laccélération de la dégradation de la situation financière dAtos avec des pertes de 600 millions deuros au premier semestre ? Puis vous annoncez la vente de Tech Foundations à Daniel Kretinsky. Est-ce lié à lurgence financière ?
Sur les résultats du premier semestre, Atos a tenu la guidance (prévision, NDLR) que le groupe avait annoncée en termes de chiffre daffaires et de marge opérationnelle (EBIT). Néanmoins, le marché a pu être déçu par la guidance de cash flow donnée le 28 juillet 2023 pour la fin dannée, mais nous assumons notre prudence dans la communication financière.
Sur les 600 millions deuros de résultats net négatifs au 1er semestre, je vous rappelle quAtos est en perte depuis un certain nombre dannées notamment en raison des provisions passées sur les contrats en perte et du coût des éléments de transformation radicale et nécessaire du Groupe, qui ont trop longtemps été repoussés. Une entreprise qui mène à bien une transformation aussi radicale et nécessaire que celle que traverse Atos, nen verra limpact sur son résultat net quà lissue de cette période.
Aujourdhui, le Conseil dadministration est concentré sur la nécessité daméliorer la marge opérationnelle récurrente. Nous avons montré une forte amélioration par rapport à lannée dernière. La tendance est tout à fait positive.
Concernant la cession de TFco à EPEI (holding de Daniel Kretinsky, ndlr), je peux vous assurer quelle nest en rien liée à la publication de nos résultats semestriels.
Pourquoi avoir choisi de vendre à EPEI ?
En parallèle du projet de séparation des deux activités annoncé le 14 juin 2022, le conseil a continué à explorer les alternatives possibles qui pouvaient se présenter. Il a donc examiné les marques dintérêt quil a reçues sur Tech Foundations. Le 1 août, la cession de Tech Foundations est devenue une solution possible compte tenu de la proposition concrète dEPEI. Cette solution a alors été considérée par le Conseil comme la meilleure, avec une voie claire dexécution.
Elle permet la séparation des deux entités comme cela avait été annoncé ainsi quune forte réduction du niveau de risque pour Eviden. Cette opération permettrait par rapport à dautres schémas de conserver intact lensemble de lentité Eviden et son potentiel de création de valeur. Cette opération, qui est parfaitement cohérente avec notre projet de séparation, acte celle-ci et donc va clore un chapitre de lhistoire dAtos.
Les actionnaires seront consultés et auront le dernier mot à la fois sur cette cession et sur laugmentation de capital. Cette opération permettrait dautre part à Tech Foundations de sortir de la cote, ce qui serait plus favorable à son retournement et à son expansion ultérieure.
Et quels sont les avantages pour Tech Foundations ?
Tech Foundations est un actif en décroissance, moins compétitif que ses concurrents, générant un cash flow disponible négatif, et qui nécessite plusieurs centaines de millions deuros dinvestissements de restructuration (qui seraient désormais à la charge du repreneur), avec les incertitudes que cela comporte nécessairement, malgré les deux premiers trimestres 2023 qui ont vu une amélioration des chiffres grâce aux efforts de tous les collaborateurs quil faut saluer.
Il est souvent préférable pour une entreprise qui fait lobjet dune lourde restructuration comme celle de Tech Foundations de sortir de la bourse pendant quelques années qui vont être un peu tumultueuses. Nous ne pouvions pas envisager en juin 2022 un projet de cession de Tech Foundations parce quil ny avait pas dacquéreur. La proposition de Daniel Kretinsky est bonne à la fois pour les actionnaires dAtos parce quelle permet de sortir un certain nombre de passifs et de risques. Elle lest également pour Tech Foundations qui sera à labri de la volatilité des marchés et des résultats et adossé à un actionnaire fort. Car Tech Foundations a encore du chemin à faire pour avoir un cash flow positif.
Quest-ce que vous répondez à des anciens responsables dAtos qui estiment que Tech Foundations et Eviden sont si complémentaires quils doivent rester ensemble ?
Ces deux entreprises ont deux métiers totalement différents. Lun (Tech Foundations) fait de lout-sourcing (infogérance) reposant sur la diminution des coûts et des investissements, lautre (Eviden) est dans un métier où il faut investir en permanence dans la technologie et les talents. Laisser ces deux entreprises ensemble pourrait en réalité tuer lépanouissement dEviden. Je constate que la quasi-totalité des acteurs mondiaux ont soit abandonné leur activité dinfogérance, soit séparé ces deux activités à linstar dIBM/Kyndryl. Ce projet de séparation a été compris et soutenu depuis juin 2022, par une grande majorité des actionnaires dAtos. Je regrette profondément que cette séparation nait pas été réalisée il y a dix ans. Atos ne se serait pas retrouvé dans la situation dans laquelle le groupe est maintenant.
Quelle est votre vision et votre ambition pour Atos qui demain deviendra Eviden ?
Une fois Tech Foundations cédé et le Groupe rebaptisé Eviden, nous aurons entre les mains le seul acteur européen en mesure doffrir des solutions intégrant à la transformation digitale, le cloud, lIA, la cybersécurité et le calcul de haute performance.
Ce leader européen sera en mesure doffrir tous les services que les clients européens, publics et privés, ne vouraient pas confier à un acteur non européen.
Cest en particulier le seul acteur européen capable doffrir toutes les solutions de souveraineté dans le numérique et la seule réponse réelle à la problématique du cloud souverain. Toutes les autres réponses sont soit américaines, soit chinoises.
Le développement et la croissance dEviden sont non seulement le meilleur moyen de recréer de la valeur pour nos actionnaires mais aussi un sujet de souveraineté nationale et européenne.
Je note quaux Etats-Unis, les appels doffres en ce domaine sont réservés aux acteurs américains. En Europe, les appels doffres sont ouverts aux Américains et aux Chinois On veut la souveraineté, mais on ne sen donne pas les moyens. Eviden doit faire prendre conscience de cette perte dopportunité pour nos intérêts stratégiques.
Vous avez dit quil ny avait quune seule offre intéressante, celle de Kretinsky. Mais avez-vous pu étudier des offres alternatives : One Point, Astek ou le projet mystérieux de Yazid Sabeg ?
Il y a une confusion car les acteurs que vous citez ne sintéressent pas tous aux mêmes actifs.
Sagissant de Tech Foundations, ni Airbus, ni Astek, ni aucun autre acteur français ou étranger, nont formulé doffre de reprise. Il ny a eu quune seule proposition concrète provenant de EPEI pour Tech Foundations.
Sagissant dEviden, nous avons eu une approche de One Point, qui nous a transmis une simple lettre dintention préliminaire, non engageante et non financée. Elle portait sur une potentielle acquisition du périmètre Eviden. Cette démarche nous est apparue comme non crédible pour une société qui revendique un chiffre daffaires de 500 millions deuros et qui veut racheter une entreprise de 5 milliards. Sagissant de la prétendue offre dAstek, contrairement aux rumeurs, nous navons jamais reçu doffre et ignorons le périmètre de ce qui intéresserait Astek. Quant à M. Sabeg et son association avec un fonds souverain, nous avons juste vu apparaître son nom dans la presse. Nous navons jamais été contactés. Cest la réalité. Je ne vais donc pas consacrer beaucoup de temps ou dimportance à des rumeurs, je préfère me concentrer sur une proposition tangible et concrète.
Poursuivez-vous dans ce contexte de transformation votre projet de partenariat stratégique avec Airbus ?
Il est toujours en discussion. Il ny a rien de nouveau par rapport à ce que nous avons annoncé.
Pourquoi avoir demandé à Daniel Kretinsky de monter au capital dEviden alors quil ne demandait rien ?
Cest effectivement moi qui ai proposé à Daniel Kretinsky de participer à laugmentation de capital. Son investissement total de lordre de 220 millions deuros facilitera la réalisation de lopération. Sur la part de laugmentation de capital réservée (180 millions deuros ndlr), le prix de 20 euros par action reflète le potentiel de création de valeur à terme dEviden.
La présence dun investisseur comme EPEI avec potentiellement Fimalac à ses côtés au capital dEviden est par ailleurs très positive compte tenu des relations contractuelles entre Eviden et Tech Foundations.
Enfin, il faut quand même rappeler que Daniel Kretinsky est européen. Il ny a donc rien de très choquant à lui avoir demandé dinvestir dans Eviden. Quand Siemens détenait 10 % du capital dAtos pendant de longues années, personne na rien dit. Il faut également souligner que le conseil dadministration dAtos est constitué aujourdhui en majorité dadministrateurs non français. Personne na fait la moindre remarque sur ce sujet, y compris nos interlocuteurs publics ainsi que ceux du secteur de la défense avec lequel nous travaillons principalement dans le cadre de nos activités de cybersécurité et de calcul haute performance tous logés dans Eviden qui ne sera pas cédé.
Quels retours avez-vous eu lors de vos discussions avec Bercy, le ministère des Armées, voire avec lÉlysée ?
Les pouvoirs publics ont été informés de cette opération en amont.
Il ny pas eu de no-go ?
Aucun. Et sil le faut, je suis évidemment prêt à revoir les pouvoirs publics pour expliquer à nouveau ce dossier.
Pourtant, cette annonce a emballé la machine médiatique avec notamment une tribune de plusieurs dizaines de parlementaires qui sont montés au créneau au cœur du mois daoût contre la présence de Daniel Kretinsky au conseil dadministration dEviden. Que leur répondez-vous ?
Je le répète : cest un investisseur européen qui a pignon sur rue. Il est actionnaire de grandes entreprises françaises depuis des années. Je vous affirme que Daniel Kretinsky, en tant quactionnaire minoritaire, naura pas dautres droits de gouvernance que son siège au conseil dadministration. Il naura évidemment ni le contrôle de lentreprise, ni accès à des informations classifiées en matière de défense. Et je suis à la disposition des parlementaires parce quil y a des rumeurs infondées sur le dossier.
Daniel Kretinsky sest lui-même engagé publiquement à ne pas dépasser 7,5% du capital dEviden. Laugmentation de capital, si elle est votée par les actionnaires, va renforcer Eviden, en lui donnant les moyens financiers de se développer et par là même permettre de financer ses activités dites sensibles. Cest cela notre intérêt stratégique.
Je métonne quand même de cette préoccupation pour un actionnaire européen qui rentre au conseil dadministration dEviden. Et je regrette beaucoup que personne nait pris la peine dentrer en contact avec nous pour en discuter au moment où nous avons trouvé une solution qui pérennise Eviden sur le long terme.
Si on vous entend bien, la souveraineté a bon dos dans cette affaire. Invoquer la souveraineté servirait donc les intérêts de personnes cherchant à déstabiliser cette opération pour en proposer dautres ? Est-ce votre analyse ?
Vous avez une assez bonne déduction. Cest pour cela que jai décidé de parler pour expliquer à nouveau ce dossier. Il y a eu beaucoup de rumeurs et de voix qui sexpriment sans avoir pris la peine de sinformer auprès dAtos. Lopération envisagée est certes complexe, mais la communication dAtos est claire même sil reste un certain nombre de points qui doivent encore être négociés et finalisés. Toutes les informations seront mises à la disposition des actionnaires en amont de lassemblée générale et précisées en particulier dans le cadre dune journée investisseurs.
Certains ont estimé quil existait un conflit dintérêt pour certains hauts cadres dAtos auxquels Daniel Kretinsky a proposé en amont de lopération des plans dintéressement sous forme dactions gratuites. Considérez-vous quil y a conflit dintérêt ou pas ?
Ce point est une mauvaise polémique destinée à déstabiliser les dirigeants dAtos alors quils se battent pour la pérennité dAtos, en particulier ceux de Tech Foundations, qui a encore un cash flow négatif. Ils se battent pour redresser cette entreprise. Les plans dintéressement sont des outils très courants pour les hauts cadres. Cest pour lacquéreur destiné à sassurer de leur implication dans la durée. Ce plan sest destiné à toute léquipe dirigeante de Tech Foundations et pas seulement à deux personnes. Cest lacquéreur qui supporte le coût de ce « management package », qui dépend de lobtention de performances futures. Le conseil dadministration a toutefois pris des mesures pour quil ny ait pas de conflits dintérêts. Des experts indépendants ont supervisé le processus et suivi les négociations avec EPEI notamment pour sassurer de labsence de conflit dintérêt.
Certains avancent que ces experts sont issus de McKinsey
Non, pas du tout. Cest Finexsi et BTSG, deux experts français indépendants. Nous leur avons demandé un rapport qui a été présenté lors du conseil qui a approuvé lopération. Ils ont conclu quil ny avait pas de conditions inhabituelles dans le projet de management package.
Selon Mediapart, Eviden va financer le plan de redressement de Tech Foundations à la place dEPI, via le besoin en fonds de roulement (BFR). Est-ce le cas ?
Il est inexact daffirmer quEviden financerait 1 milliard deuros de restructuration de Tech Foundations. Cest le contraire. Cest dailleurs là qe réside lun des intérêts de cette opération : le repreneur va supporter lintégralité du plan de restructuration à partir du closing et pas Eviden. Sagissant du BFR, quand on cède une entreprise, elle est toujours cédée avec son BFR moyen sur lannée.
Pouvez-vous donner le montant du BFR cédé à Tech Foundations ?
Ce montant sera précisé quand les accords définitifs seront signés et en amont de lassemblée générale
Ceux qui disent que Daniel Kretinsky fait une très belle opération financière financée sur le dos de la restructuration dAtos sont-ils de mauvaise langue ?
Aujourdhui Tech Foundations est sur la voie du redressement mais il reste encore de nombreuses restructurations à faire et un risque dexécution important.
Si EPEI surmonte ces risques, il y a dans les accords un mécanisme de partage potentiel de la valeur qui pourrait bénéficier aux actionnaires dAtos, sous condition de performance comme nous lavons indiqué au marché. Mais il y a aussi des scénarios dans lesquels cela peut être aussi beaucoup plus difficile pour Tech Foundations. Il est donc important pour les actionnaires dAtos de tourner la page Tech Foundations définitivement.
Appelons un chat, un chat : Tech Foundations avait besoin de 1,1 milliard deuros de restructuration. Cette restructuration sera désormais entièrement à la charge EPEI.
Quelle est la fin du calendrier de cette opération ?
Cette opération pourrait être finalisée en fin dannée ou en début dannée prochaine, sous réserve de lapprobation des actionnaires. Tout dépend du calendrier des autorisations et des conditions réglementaires dans les différents pays.
Propos recueillis Michel Cabirol et Philippe Mabille
Ce plan prévoit de séparer en deux sociétés cotées distinctes les activités d'Atos. D'un côté, une entité (qui conservera le nom d'Atos) regroupera les activités historiques d'infogérance, autrement dit la gestion des infrastructures informatiques des entreprises et les centres de données. De l'autre, une nouvelle entreprise, baptisée Evidian, regroupera les activités digitales (cloud, intelligence artificielle, internet des objets, décarbonation) et la cybersécurité (big data & security, BDS). Atos a nommé un triumvirat chargé de mener à bien cette transformation autour de Nourdine Bihmane, nouveau directeur général, Diane Galbe et Philippe Oliva.
À LIRE AUSSIScission, crise de gouvernance: la descente aux enfers d'Atos
«Le scénario choisi par le conseil d'administration est de loin le plus créateur de valeur pour l'ensemble des parties prenantes, avec un schéma que nous maîtrisons de A à Z», explique Bertrand Meunier au Figaro, insistant sur deux critères qui l'ont guidé: «l'intérêt de toutes les parties prenantes et la maximisation de la création de valeur pour les actionnaires à horizon de 12 à 18 mois».
Le groupe Atos n'a pas besoin d'augmentation de capital et n'en prévoit pas
Bertrand Meunier
Un choix opéré après une étude approfondie et rationnelle de tous les autres scénarios, assure-t-il, de la scission à l'introduction en bourse des activités digitales et cyber. Comment expliquer alors un tel scepticisme des marchés? Selon Bertrand Meunier, la chute du titre observée depuis sa présentation s'explique principalement par deux éléments. «L'annonce du départ de Rodolphe Belmer a surpris, tout comme l'ampleur des restructurations nécessaires, et les marchés ont dû intégrer qu'Atos aurait besoin de 1,6 milliard d'euros, dont 1,1 milliard pour le futur Atos (TFCo)», estime celui qui préside le conseil d'administration d'Atos depuis 2019.
La dégradation - attendue - de la note d'emprunt du groupe par l'agence S&P la semaine dernière n'est pas une source d'inquiétude. «Le groupe Atos n'a pas besoin d'augmentation de capital et n'en prévoit pas», assure Bertrand Meunier. Et de reprendre les mots de l'agence de notation dans son communiqué: «La liquidité d'Atos est forte, notamment grâce à son niveau de trésorerie, et sa politique financière est appropriée (...). Le niveau de liquidité prévu du groupe devrait lui donner les moyens de mener à bien son plan de transformation.»
Fronde d'actionnaires
La chute de la capitalisation du groupe à 1,2 milliard d'euros pourrait cependant compliquer la tâche de BNP Paribas et JPMorgan, les deux banques mandatées pour assurer le financement du plan stratégique, dans un contexte de remontée des taux d'intérêt et de marché bancaire plus frileux à prêter. «Je n'ai aucune remontée à ce niveau», indique le président.
Bertrand Meunier ne semble pas plus inquiet de la fronde d'actionnaires, qui aimeraient le voir quitter ses fonctions. «Nous sommes en dialogue permanent avec les actionnaires. Le retour d'une grande majorité d'entre eux sur ce plan stratégique est totalement positif, et ils nous disent "tenez bon"», assure-t-il. «Bien sûr, nous pouvons comprendre que certains actionnaires individuels, dont le portefeuille comporte une importante part d'actions Atos, soient inquiets au vu de l'évolution du cours. On leur demande d'être patients», ajoute-t-il.
À LIRE AUSSIAtos dans la tourmente boursière avant son plan stratégique
Certains d'entre eux - pas uniquement des individuels - se sont plaints auprès du conseil d'administration et réclament une évolution de la gouvernance. «Suite à l'annonce du départ de Rodolphe Belmer, il est vrai qu'il y a eu un sujet d'incarnation du pouvoir. Dans ces cas-là, certains acteurs mécontents ont pu se retourner vers le président du conseil d'administration pour exprimer leur mécontentement. Mon cas personnel importe peu. C'est pour les 111.000 employés d'Atos que je me bats et que le conseil agit», se défend Bertrand Meunier.
Le président dément d'ailleurs toute vague de départs de cadres de premier ordre au sein du groupe qui n'adhéreraient pas en interne au projet stratégique. «Le corps social est complètement aligné avec le conseil d'administration et l'équipe dirigeante sur ce projet ambitieux», insiste celui qui affirme avoir reçu des gages de soutien lors du comité d'entreprise européen la semaine dernière. «Lors de l'arrivée de Rodolphe Belmer en début d'année, la gouvernance du groupe a été resserrée et le comité exécutif réduit de 22 à 11 personnes. Certaines d'entre elles expriment leur mécontentement à l'extérieur de l'entreprise», estime-t-il.
Nous avons signé de nombreux contrats pendant le second trimestre, y compris ces dernières semaines. Certains noms cités dans la presse (American Express, State Street, NDLR) ont même renforcé leurs liens avec Atos. Arrêtons cette œuvre de déstabilisation !
Bertrand Meunier
L'homme veut aussi tordre le cou aux rumeurs instillant un doute sur la dynamique commerciale. «Nous avons signé de nombreux contrats pendant le second trimestre, y compris ces dernières semaines. Certains noms cités dans la presse (American Express, State Street, NDLR) ont même renforcé leurs liens avec Atos. Arrêtons cette œuvre de déstabilisation!», tonne le président. Fin juin, Atos a remporté un nouveau contrat auprès de l'Otan, pour installer et configurer des systèmes de cybersécurité essentiels aux activités de l'organisation.
Les résultats semestriels publiés le 27 juillet prochain permettront d'en savoir davantage. «Certains acteurs semblent vouloir fragiliser Atos avec une campagne de déstabilisation externe, en se disant qu'ils pourraient potentiellement acheter à bon compte certaines activités d'Atos», ajoute le président.
Intérêt de certains groupes
Plusieurs groupes français n'ont pas caché leur intérêt pour les activités cybersécurité d'Atos: Thales, Orange Cyberdéfense, la filiale cyber d'Airbus... Mais aucun ne s'est manifesté auprès d'Atos: «Il n'y a eu aucune approche ou offre sur BDS. Si nous avions reçu une offre, nous l'aurions étudiée. Il n'y a eu aucune discussion», assure Bertrand Meunier, répétant n'avoir eu aucune dissension avec Rodolphe Belmer.
Garder ensemble les activités digitales et cyber au sein de la future Evidian reste la meilleure option, pour le conseil d'Atos, la migration sur le cloud des organisations s'accompagnant de problématiques de sécurité fondamentales. «Nous avons besoin d'un tout sur le plan de la création de valeur. Séparer la partie cyber fragiliserait les activités digitales. BDS est une activité stratégique, nous mènerons ce projet jusqu'au bout.» L'État suit avec attention le dossier, indiquait mi-juin le cabinet du ministre de l'Économie et des Finances. Bertrand Meunier les a rencontrés à plusieurs reprises. «La position de l'État, telle qu'elle nous a été exprimée, est très claire: tant qu'Atos est à même de financer elle-même son développement, il n'y a pas de raison que l'État considère qu'une solution indépendante n'est pas la meilleure», indique-t-il.
La tribune 11.09.23
Bertrand Meunier : « Il ny a rien de choquant pour Atos davoir demandé à Kretinsky dinvestir dans Eviden » (LA TRIBUNE)
Pour sa première prise de parole depuis lannonce du projet de restructuration dAtos, Bertrand Meunier, président du conseil dadministration, livre dans La Tribune ses vérités sur cette opération de scission annoncée au cœur de lété. Face aux nombreuses critiques sur la cession des activités dinfogérance, regroupées sous la bannière Tech Foundation (TFco), à lhomme daffaire tchèque Daniel Kretinsky, et surtout à lentrée de celui-ci à hauteur de 7,5% dans le capital dEviden, nouvelle dénomination de la partie cotée en bourse de lentreprise technologique française, lancien patron du fonds PAI défend ses choix. Daniel Kretinsky, qui naura aucun droit particulier comme actionnaire minoritaire dEviden, naura accès à aucune information classifiée en matière de défense. Notre dissuasion nucléaire nest donc en rien menacée selon lui. Le deal, dont la réussite repose sur la réalisation dune ugmentation de capital, va au contraire doter la France et lEurope dun acteur majeur dans le cyber, le cloud et lIA au service de notre souveraineté. Concernant la situation financière dAtos, il limpute à ses prédécesseurs dont les opérations de croissance externe ont été réalisées selon lui « avec une sélectivité discutable ou insuffisante » et les contrats signés alors étaient trop peu rentables au regard des coûts.
Propos recueillis Michel Cabirol et Philippe Mabille
11 Sept 2023, 6:00
LA TRIBUNE- Pourriez-vous, avant de nous clarifier lopération de cession de Tech Foundations que vous avez annoncée début août, revenir sur la situation économique et financière dAtos. Pourquoi est-elle aussi dégradée ?
BERTRAND MEUNIER- Permettez-moi de mettre cette situation dans une perspective historique. Jai hérité et le conseil dadministration aussi dun passé et dun passif. Alors que lenvironnement technologique a évolué de façon rapide, Atos a clairement pris du retard dans la migration vers le cloud. Le succès du cours de bourse dAtos dans les années 2010 était en réalité le fruit dune politique dacquisitions et dune forte croissance externe qui a été réalisée avec une sélectivité discutable ou insuffisante et de la signature de contrats dont la rémunération était trop faible au regard des coûts. En février 2021, les commissaires aux comptes ont émis une réserve sur les comptes dune de nos filiales américaines, qui était dailleurs une acquisition faite en 2014 dune activité de Xerox (840 millions deuros, ndlr).
Le groupe Atos vendait-il à perte ?
Atos prenait alors des paris sur le futur, en particulier dans les activités de Tech Foundations. A la suite de la réserve des commissaires aux comptes, une étude approfondie a été lancée pour comprendre les causes de ces réserves. Cela a conduit le conseil et moi-même à demander que des méthodes comptables plus conservatrices soient désormais appliquées. Deuxièmement, nous avons demandé une revue systématique des contrats en cours de réalisation, dont certains, tous signés avant 2020, ont fait lobjet dune dépréciation nécessaire. Ces dépréciations ont concerné beaucoup plus les contrats de Tech Foundations. Depuis 2020, tous les contrats signés sont rentables. Atos est aujourdhui dans la norme du secteur.
Vous imputez les réserves des commissaires aux comptes et la dégradation de la situation financière dAtos aux gouvernances qui vous ont précédé ?
Je constate simplement une situation. Le conseil dadministration, depuis que je le préside, sest montré très résolu à traiter ce problème et a toujours veillé à lintérêt dAtos sur le long terme, ainsi que des salariés et des actionnaires.
Et comment expliquez-vous laccélération de la dégradation de la situation financière dAtos avec des pertes de 600 millions deuros au premier semestre ? Puis vous annoncez la vente de Tech Foundations à Daniel Kretinsky. Est-ce lié à lurgence financière ?
Sur les résultats du premier semestre, Atos a tenu la guidance (prévision, NDLR) que le groupe avait annoncée en termes de chiffre daffaires et de marge opérationnelle (EBIT). Néanmoins, le marché a pu être déçu par la guidance de cash flow donnée le 28 juillet 2023 pour la fin dannée, mais nous assumons notre prudence dans la communication financière.
Sur les 600 millions deuros de résultats net négatifs au 1er semestre, je vous rappelle quAtos est en perte depuis un certain nombre dannées notamment en raison des provisions passées sur les contrats en perte et du coût des éléments de transformation radicale et nécessaire du Groupe, qui ont trop longtemps été repoussés. Une entreprise qui mène à bien une transformation aussi radicale et nécessaire que celle que traverse Atos, nen verra limpact sur son résultat net quà lissue de cette période.
Aujourdhui, le Conseil dadministration est concentré sur la nécessité daméliorer la marge opérationnelle récurrente. Nous avons montré une forte amélioration par rapport à lannée dernière. La tendance est tout à fait positive.
Concernant la cession de TFco à EPEI (holding de Daniel Kretinsky, ndlr), je peux vous assurer quelle nest en rien liée à la publication de nos résultats semestriels.
Pourquoi avoir choisi de vendre à EPEI ?
En parallèle du projet de séparation des deux activités annoncé le 14 juin 2022, le conseil a continué à explorer les alternatives possibles qui pouvaient se présenter. Il a donc examiné les marques dintérêt quil a reçues sur Tech Foundations. Le 1 août, la cession de Tech Foundations est devenue une solution possible compte tenu de la proposition concrète dEPEI. Cette solution a alors été considérée par le Conseil comme la meilleure, avec une voie claire dexécution.
Elle permet la séparation des deux entités comme cela avait été annoncé ainsi quune forte réduction du niveau de risque pour Eviden. Cette opération permettrait par rapport à dautres schémas de conserver intact lensemble de lentité Eviden et son potentiel de création de valeur. Cette opération, qui est parfaitement cohérente avec notre projet de séparation, acte celle-ci et donc va clore un chapitre de lhistoire dAtos.
Les actionnaires seront consultés et auront le dernier mot à la fois sur cette cession et sur laugmentation de capital. Cette opération permettrait dautre part à Tech Foundations de sortir de la cote, ce qui serait plus favorable à son retournement et à son expansion ultérieure.
Et quels sont les avantages pour Tech Foundations ?
Tech Foundations est un actif en décroissance, moins compétitif que ses concurrents, générant un cash flow disponible négatif, et qui nécessite plusieurs centaines de millions deuros dinvestissements de restructuration (qui seraient désormais à la charge du repreneur), avec les incertitudes que cela comporte nécessairement, malgré les deux premiers trimestres 2023 qui ont vu une amélioration des chiffres grâce aux efforts de tous les collaborateurs quil faut saluer.
Il est souvent préférable pour une entreprise qui fait lobjet dune lourde restructuration comme celle de Tech Foundations de sortir de la bourse pendant quelques années qui vont être un peu tumultueuses. Nous ne pouvions pas envisager en juin 2022 un projet de cession de Tech Foundations parce quil ny avait pas dacquéreur. La proposition de Daniel Kretinsky est bonne à la fois pour les actionnaires dAtos parce quelle permet de sortir un certain nombre de passifs et de risques. Elle lest également pour Tech Foundations qui sera à labri de la volatilité des marchés et des résultats et adossé à un actionnaire fort. Car Tech Foundations a encore du chemin à faire pour avoir un cash flow positif.
Quest-ce que vous répondez à des anciens responsables dAtos qui estiment que Tech Foundations et Eviden sont si complémentaires quils doivent rester ensemble ?
Ces deux entreprises ont deux métiers totalement différents. Lun (Tech Foundations) fait de lout-sourcing (infogérance) reposant sur la diminution des coûts et des investissements, lautre (Eviden) est dans un métier où il faut investir en permanence dans la technologie et les talents. Laisser ces deux entreprises ensemble pourrait en réalité tuer lépanouissement dEviden. Je constate que la quasi-totalité des acteurs mondiaux ont soit abandonné leur activité dinfogérance, soit séparé ces deux activités à linstar dIBM/Kyndryl. Ce projet de séparation a été compris et soutenu depuis juin 2022, par une grande majorité des actionnaires dAtos. Je regrette profondément que cette séparation nait pas été réalisée il y a dix ans. Atos ne se serait pas retrouvé dans la situation dans laquelle le groupe est maintenant.
Quelle est votre vision et votre ambition pour Atos qui demain deviendra Eviden ?
Une fois Tech Foundations cédé et le Groupe rebaptisé Eviden, nous aurons entre les mains le seul acteur européen en mesure doffrir des solutions intégrant à la transformation digitale, le cloud, lIA, la cybersécurité et le calcul de haute performance.
Ce leader européen sera en mesure doffrir tous les services que les clients européens, publics et privés, ne vouraient pas confier à un acteur non européen.
Cest en particulier le seul acteur européen capable doffrir toutes les solutions de souveraineté dans le numérique et la seule réponse réelle à la problématique du cloud souverain. Toutes les autres réponses sont soit américaines, soit chinoises.
Le développement et la croissance dEviden sont non seulement le meilleur moyen de recréer de la valeur pour nos actionnaires mais aussi un sujet de souveraineté nationale et européenne.
Je note quaux Etats-Unis, les appels doffres en ce domaine sont réservés aux acteurs américains. En Europe, les appels doffres sont ouverts aux Américains et aux Chinois On veut la souveraineté, mais on ne sen donne pas les moyens. Eviden doit faire prendre conscience de cette perte dopportunité pour nos intérêts stratégiques.
Vous avez dit quil ny avait quune seule offre intéressante, celle de Kretinsky. Mais avez-vous pu étudier des offres alternatives : One Point, Astek ou le projet mystérieux de Yazid Sabeg ?
Il y a une confusion car les acteurs que vous citez ne sintéressent pas tous aux mêmes actifs.
Sagissant de Tech Foundations, ni Airbus, ni Astek, ni aucun autre acteur français ou étranger, nont formulé doffre de reprise. Il ny a eu quune seule proposition concrète provenant de EPEI pour Tech Foundations.
Sagissant dEviden, nous avons eu une approche de One Point, qui nous a transmis une simple lettre dintention préliminaire, non engageante et non financée. Elle portait sur une potentielle acquisition du périmètre Eviden. Cette démarche nous est apparue comme non crédible pour une société qui revendique un chiffre daffaires de 500 millions deuros et qui veut racheter une entreprise de 5 milliards. Sagissant de la prétendue offre dAstek, contrairement aux rumeurs, nous navons jamais reçu doffre et ignorons le périmètre de ce qui intéresserait Astek. Quant à M. Sabeg et son association avec un fonds souverain, nous avons juste vu apparaître son nom dans la presse. Nous navons jamais été contactés. Cest la réalité. Je ne vais donc pas consacrer beaucoup de temps ou dimportance à des rumeurs, je préfère me concentrer sur une proposition tangible et concrète.
Poursuivez-vous dans ce contexte de transformation votre projet de partenariat stratégique avec Airbus ?
Il est toujours en discussion. Il ny a rien de nouveau par rapport à ce que nous avons annoncé.
Pourquoi avoir demandé à Daniel Kretinsky de monter au capital dEviden alors quil ne demandait rien ?
Cest effectivement moi qui ai proposé à Daniel Kretinsky de participer à laugmentation de capital. Son investissement total de lordre de 220 millions deuros facilitera la réalisation de lopération. Sur la part de laugmentation de capital réservée (180 millions deuros ndlr), le prix de 20 euros par action reflète le potentiel de création de valeur à terme dEviden.
La présence dun investisseur comme EPEI avec potentiellement Fimalac à ses côtés au capital dEviden est par ailleurs très positive compte tenu des relations contractuelles entre Eviden et Tech Foundations.
Enfin, il faut quand même rappeler que Daniel Kretinsky est européen. Il ny a donc rien de très choquant à lui avoir demandé dinvestir dans Eviden. Quand Siemens détenait 10 % du capital dAtos pendant de longues années, personne na rien dit. Il faut également souligner que le conseil dadministration dAtos est constitué aujourdhui en majorité dadministrateurs non français. Personne na fait la moindre remarque sur ce sujet, y compris nos interlocuteurs publics ainsi que ceux du secteur de la défense avec lequel nous travaillons principalement dans le cadre de nos activités de cybersécurité et de calcul haute performance tous logés dans Eviden qui ne sera pas cédé.
Quels retours avez-vous eu lors de vos discussions avec Bercy, le ministère des Armées, voire avec lÉlysée ?
Les pouvoirs publics ont été informés de cette opération en amont.
Il ny pas eu de no-go ?
Aucun. Et sil le faut, je suis évidemment prêt à revoir les pouvoirs publics pour expliquer à nouveau ce dossier.
Pourtant, cette annonce a emballé la machine médiatique avec notamment une tribune de plusieurs dizaines de parlementaires qui sont montés au créneau au cœur du mois daoût contre la présence de Daniel Kretinsky au conseil dadministration dEviden. Que leur répondez-vous ?
Je le répète : cest un investisseur européen qui a pignon sur rue. Il est actionnaire de grandes entreprises françaises depuis des années. Je vous affirme que Daniel Kretinsky, en tant quactionnaire minoritaire, naura pas dautres droits de gouvernance que son siège au conseil dadministration. Il naura évidemment ni le contrôle de lentreprise, ni accès à des informations classifiées en matière de défense. Et je suis à la disposition des parlementaires parce quil y a des rumeurs infondées sur le dossier.
Daniel Kretinsky sest lui-même engagé publiquement à ne pas dépasser 7,5% du capital dEviden. Laugmentation de capital, si elle est votée par les actionnaires, va renforcer Eviden, en lui donnant les moyens financiers de se développer et par là même permettre de financer ses activités dites sensibles. Cest cela notre intérêt stratégique.
Je métonne quand même de cette préoccupation pour un actionnaire européen qui rentre au conseil dadministration dEviden. Et je regrette beaucoup que personne nait pris la peine dentrer en contact avec nous pour en discuter au moment où nous avons trouvé une solution qui pérennise Eviden sur le long terme.
Si on vous entend bien, la souveraineté a bon dos dans cette affaire. Invoquer la souveraineté servirait donc les intérêts de personnes cherchant à déstabiliser cette opération pour en proposer dautres ? Est-ce votre analyse ?
Vous avez une assez bonne déduction. Cest pour cela que jai décidé de parler pour expliquer à nouveau ce dossier. Il y a eu beaucoup de rumeurs et de voix qui sexpriment sans avoir pris la peine de sinformer auprès dAtos. Lopération envisagée est certes complexe, mais la communication dAtos est claire même sil reste un certain nombre de points qui doivent encore être négociés et finalisés. Toutes les informations seront mises à la disposition des actionnaires en amont de lassemblée générale et précisées en particulier dans le cadre dune journée investisseurs.
Certains ont estimé quil existait un conflit dintérêt pour certains hauts cadres dAtos auxquels Daniel Kretinsky a proposé en amont de lopération des plans dintéressement sous forme dactions gratuites. Considérez-vous quil y a conflit dintérêt ou pas ?
Ce point est une mauvaise polémique destinée à déstabiliser les dirigeants dAtos alors quils se battent pour la pérennité dAtos, en particulier ceux de Tech Foundations, qui a encore un cash flow négatif. Ils se battent pour redresser cette entreprise. Les plans dintéressement sont des outils très courants pour les hauts cadres. Cest pour lacquéreur destiné à sassurer de leur implication dans la durée. Ce plan sest destiné à toute léquipe dirigeante de Tech Foundations et pas seulement à deux personnes. Cest lacquéreur qui supporte le coût de ce « management package », qui dépend de lobtention de performances futures. Le conseil dadministration a toutefois pris des mesures pour quil ny ait pas de conflits dintérêts. Des experts indépendants ont supervisé le processus et suivi les négociations avec EPEI notamment pour sassurer de labsence de conflit dintérêt.
Certains avancent que ces experts sont issus de McKinsey
Non, pas du tout. Cest Finexsi et BTSG, deux experts français indépendants. Nous leur avons demandé un rapport qui a été présenté lors du conseil qui a approuvé lopération. Ils ont conclu quil ny avait pas de conditions inhabituelles dans le projet de management package.
Selon Mediapart, Eviden va financer le plan de redressement de Tech Foundations à la place dEPI, via le besoin en fonds de roulement (BFR). Est-ce le cas ?
Il est inexact daffirmer quEviden financerait 1 milliard deuros de restructuration de Tech Foundations. Cest le contraire. Cest dailleurs là qe réside lun des intérêts de cette opération : le repreneur va supporter lintégralité du plan de restructuration à partir du closing et pas Eviden. Sagissant du BFR, quand on cède une entreprise, elle est toujours cédée avec son BFR moyen sur lannée.
Pouvez-vous donner le montant du BFR cédé à Tech Foundations ?
Ce montant sera précisé quand les accords définitifs seront signés et en amont de lassemblée générale
Ceux qui disent que Daniel Kretinsky fait une très belle opération financière financée sur le dos de la restructuration dAtos sont-ils de mauvaise langue ?
Aujourdhui Tech Foundations est sur la voie du redressement mais il reste encore de nombreuses restructurations à faire et un risque dexécution important.
Si EPEI surmonte ces risques, il y a dans les accords un mécanisme de partage potentiel de la valeur qui pourrait bénéficier aux actionnaires dAtos, sous condition de performance comme nous lavons indiqué au marché. Mais il y a aussi des scénarios dans lesquels cela peut être aussi beaucoup plus difficile pour Tech Foundations. Il est donc important pour les actionnaires dAtos de tourner la page Tech Foundations définitivement.
Appelons un chat, un chat : Tech Foundations avait besoin de 1,1 milliard deuros de restructuration. Cette restructuration sera désormais entièrement à la charge EPEI.
Quelle est la fin du calendrier de cette opération ?
Cette opération pourrait être finalisée en fin dannée ou en début dannée prochaine, sous réserve de lapprobation des actionnaires. Tout dépend du calendrier des autorisations et des conditions réglementaires dans les différents pays.
Propos recueillis Michel Cabirol et Philippe Mabille