matabeta
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Ce propos ne constitue pas une accusation envers les acteurs cités, mais une prospective fondée sur des précédents documentés
Voici ci-dessous le dernier chapitre, en forme de conclusion et de prospectives, suite à l'analyse sur les faits troublants recensés autour du cas Atos. L'intégralité de l'analyse est désormais réunie dans cette analyse membre sur le blog :
https://atos.blog/2023/01/16/analyse-membresn4-2-atos-au-coeur-dune-guerre-economique-partie-2-2-matabeta/
Bonne lecture !
6/ PROSPECTIVES
Gemplus, Alcatel, Bayer, Alstom… Ces précédents évoqués ont mis en lumière diverses manœuvres américaines agressives pour prendre le contrôle, affaiblir, ou bénéficier des ressources d’une cible stratégique.
Atos, une cible stratégique
Des documents publiés par Wikileaks ont démontré que la NSA avait écouté la quasi-totalité des entreprises cotées au Cac 40, entre autre écoutes, dont les plus emblématiques furent celles de plus de 35 présidents de pays étrangers (avant 2013), comme les présidents français Chirac, Sarkozy et Hollande... Elle distribue ensuite ses collectes à des services dédiés, selon l’exploitation stratégique, politique, militaire, juridique, sociale ou économique qui peut en découler.
Outre la NSA, le dispositif américain regroupe au moins 23 agences de renseignements connues, soit environ 120 000 personnes. Ces données irriguent ensuite tous les services de l’état et informent notamment les acteurs privés américains, pour remporter les guerres économiques. Ces agences peuvent également être utilisées pour fragiliser, déstabiliser, et même inciter à la faute des directoires de sociétés ciblées* (38).
Atos est un leader mondial de la cyber-sécurité, du chiffrement, des solutions cloud, un gestionnaire de réseau de milliers d’entreprises. Elle travaille pour des clients eux-mêmes sensibles, comme des institutions mondiales, mais aussi la DGA, la DGSE, les équipements des armées, ou encore les services des ministères français. Enfin, elle se positionne en pointe dans des secteurs de recherche stratégique comme la cryptologie quantique. Dans ce domaine elle est notamment leader mondial dans l’hybridation quantique.
Sur ce seul dernier point, la cryptologie quantique, notons que la NSA est, en plus de ses missions de renseignement pour des intérêts divers, elle-même intéressée en tant que concurrente directe d’Atos. En effet, l’agence cherche à construire un calculateur quantique visant à craquer tout chiffrement protégeant le secret bancaire, médical, industriel ou gouvernemental à travers le monde. Selon le Washington Post, qui révèle cette information des fuites Snowden en 2014, la NSA se considère « au coude à coude avec les laboratoires d'informatique quantique internationaux ».* (23)
Atos n’est donc pas seulement une cible de premier plan dans le cadre de la compétition économique, elle est aussi un vecteur électronique privilégié pour approcher d’autres cibles potentielles (cf Chapitre 5), et un concurrent direct dans ses domaines d’activités et de recherche.
Participation à l’affaiblissement
Les motifs visant à affaiblir ou à déstabiliser Atos, temporairement ou durablement, par divers moyens, sont donc nombreux et divers. Les moyens d’y parvenir, au regard des précédents évoqués, le sont également. Les précédentes attaques stratégiques que nous avons abordées montrent 3 types principaux d’interventions des agences américaines face à des entreprises stratégiques :
1/ Organiser l’affaiblissement d’une société saine (Gemplus…)
2/ Amplifier l’affaiblissement d’une société traversant des difficultés ponctuelles (Alstom…)
3/ Sans être à l’origine de son affaiblissement, s’assurer de saisir les opportunités offertes par une société traversant des difficultés (Latecoère…)
Dans le cas d’Atos, si des pressions sont avérées, le cas n°2, d’une amplification de son affaiblissement paraît crédible. A l’occasion de difficultés économiques ponctuelles, des acteurs auraient pu être mandatés ou incités à agir pour accentuer ses difficultés, et d’autres pour en tirer parti.
Les pressions potentielles détectées sur Atos (Résumé)
Dans le cas d'Atos, au cours de cette analyse, nous avons pu constater que :
- Atos a pu être la cible de déstabilisation financière
Avant et malgré des offres d’acquisitions, le titre Atos a été l'un des plus exposés à la vente à découvert de Hedges Funds, qui ont aboutis à une valorisation de 15 à 25% seulement du prix proposée par des candidats à son rachat. Alors qu’il est démontré que des Hedges Funds sont parfois utilisés comme « arme de guerre économique », le comportement, la présence et la durée d’exposition de certains fonds en action sur Atos sont remarquables. (Chapitre 2)
- Atos a pu être la cible de déstabilisation informationnelle
Fausse information sur les marchés, alerte comptable infondée émise par des filiales américaines, approche incohérente et inexpliquée de l’américain DXC, avis de brokers suspects… Des évènements négatifs ponctuels ont alimenté la chute du titre en bourse. Ce dernier ne s’est pas redressé lorsque les doutes ont été levés. (Chapitre 3)
- Atos a pu être la cible de tentative d'acquisition stratégique
Un consortium de fonds américains aux liens démontrés avec la CIA a approché Atos en pleine tempête boursière, en août 2021. Divers autres acteurs américains ont été remarqués à divers niveaux de l’environnement d’Atos, qu’il s’agisse d’activité de conseil, d’investissement financier, ou de partenaires d’offres ultérieures. (Chapitre 1)
- Atos a pu être l’objet de négociations inéquitables
Des documents démontrent que les services américains informent leurs entreprises impliquées dans des phases de négociations. L'acquisition de la société Syntel aux Etats Unis, réalisée à un prix surévalué, a été suivie d’une condamnation judiciaire 100 fois supérieure au montant estimé par Atos lors de l’acquisition. Celle-ci estime avoir été trompée lors de son acquisition.
(Chapitre 4)
-Atos peut être l’objet d'intrusions électroniques
Des fuites de la NSA démontrent qu’Atos fait partie de ses cibles économiques et stratégiques prioritaires. Ses partenariats avec les GAFAM l'exposent d'autant plus, comme le récent contrat avec A.W.S., qui assure à la NSA un accès (Cloud act) légal à toutes les données hébergées en France, y compris au sein du « cloud de confiance. »
(Chapitre 5)
Chacun de ces constats peut être considéré comme indépendant des autres, ou au contraire comme étant lié aux autres. Les services de renseignements, dont le métier est basé sur une forme de paranoïa, considèrent qu’ « il n’y a pas de coïncidences ». Dans le cas d’Atos, si certains des faits relevés ci-dessus pourraient relever de malheureuses coïncidences, leur accumulation ne peut qu’augmenter la probabilité de manœuvres potentielles. Surtout au regard des précédents connus, des révélations de diverses sources, et de la sensibilité des domaines d’activités d’Atos.
Quelles conséquences ?
En considérant que ces pressions sont avérées, contrairement aux précédents évoqués, elles ne se traduisent pas, à ce stade, par la réalisation d’un but visible (comme une acquisition). Mais les objectifs éventuellement poursuivis ne sont pas forcément visibles. Les cas d’écoles cités sont connus justement parce que les manœuvres se sont traduites par un but atteint particulièrement visible, mais de nombreux cas existent de pressions potentielles aux buts non visibles.
Concrètement dans le cas d’Atos, ces fragilisations pouvaient permettre, par exemple, d’inciter l’entreprise à des cessions d’activités, de ralentir certains de ses développements en cours, d’accélérer ou de négocier en position de force des coopérations avec des collaborateurs américains... Les raisons d’amplifier les difficultés d’Atos peuvent être diverses.
En l’état actuel, on peut seulement constater les impacts engendrés par la fragilisation d’Atos ces deux dernières années : une tempête boursière historique, pendant laquelle le groupe a dû se concentrer sur sa propre survie au détriment de certaines activités de développements internes et futurs. Par ailleurs, Atos a frôlé le rachat à plusieurs reprises, et un démantèlement a été évoqué plusieurs fois. Elle a également subit le risque de dépassement de ses ratios d’endettement maximums auprès de ses créanciers, ce qui l’aurait contrainte à certaines cessions non souhaitées librement notamment. Elle a vu son directoire déstabilisé et renouvelé plusieurs fois, et a pu être en position de faiblesse pour l’obtention de certains contrats. Enfin elle a entièrement stoppé sa stratégie d’acquisitions externes, pour au contraire s’engager dans une logique de cessions.
Atos est-elle sortie d’affaire ?
Mais il faut noter que, malgré les apparences, la France n’est pas tout à fait inactive face aux attaques étrangères, et soutien plus ou moins officiellement ses fleurons lorsqu’ils sont suspects d’attaques externes. Et surtout, même sous une pression organisée, les entreprises visées conservent généralement la possibilité d’agir pour éviter les conséquences stratégiques les plus graves. Elles peuvent même parvenir à surmonter certaines attaques, voire empêcher la réalisation de certains objectifs adverses, aidées ou non par les autorités de leur pays.
Dans le cas récent d’Airbus par exemple, visée par une enquête extraterritoriale des Etats-Unis, qui induisait des conséquences potentiellement dévastatrices (notamment l’interdiction d’accès aux marchés publics mondiaux !), l’Europe a ainsi globalement réussi à éviter le pire en forçant les autorités américaines à s’associer aux françaises et anglaises, grâce à de nouvelles dispositions de ces deux pays (précurseurs en Europe), permettant d’éviter une procédure pénale américaine. * (37)
Dans le cas d’Atos, si le directoire, présidé par Bertrand Meunier, est en partie responsable des difficultés initiales du groupe, il semble être parvenu à éviter la perte de souveraineté qui pouvait menacer certaines activités du groupe. Il a résisté aux approches diverses d’acquisitions et a conduit une stratégie de scission des activités, qui, bien que décriée, semble pouvoir assurer une protection de ses activités stratégiques face aux prédateurs potentiels.
Et enfin, début 2023, la situation semble s’améliorer. Atos parvient à diminuer les risques externes en réduisant ses fragilités internes, elle réalise plusieurs cessions non stratégiques, restructure ses activités en déclin, rassure sur ses activités en croissance, passe le cap de la fin d’année concernant ces engagements d’endettement, met en place son projet de scission, et négocie l’entrée d’un actionnaire minoritaire de long terme, afin d’empêcher des participations étrangères hostiles et de réduire le flottant de son cours de bourse. Atos est-elle tirée d’affaire ? A-t-elle déjoué d’éventuels objectifs adverses ? L’histoire le dira.
Par ailleurs, du point de vue des chapitres abordés dans cette analyse, certaines pressions semblent enfin s’alléger : le climat informationnel est désormais plus apaisé, les fonds spéculatifs réduisent leur exposition, les approches de fonds américains semblent être éloignées… Un espoir, qui engendre d’autres questions : Atos a-t-elle été un temps ciblée par des pressions à visées stratégiques ? Dans ce cas, dans quels buts, et ceux-ci ont-ils été atteints ? Et si des pressions ont eu lieu, sont-elles désormais levées ? Il est impossible d’y répondre à ce stade.
Epilogue
Quoiqu’il en soit, si les soupçons évoqués ne suffisent pas, à ce stade, à joindre le cas Atos à la cohorte des précédents cas avérés d’attaques américaines, ils doivent néanmoins amener les responsables économiques à organiser des capacités de répliques et de protections adéquates pour limiter les fragilités identifiées et susceptibles d’être exploitées dans son cas comme dans d’autres. Les milieux économiques, financiers et politiques doivent adapter leurs comportements, leurs arsenaux défensifs et leurs stratégies pour être armés face à ces enjeux cruciaux.
De par le monde, de plus en plus de pays adaptent leurs arsenaux législatifs, financiers et stratégiques, pour répondre aux attaques économiques déloyales et stratégiques. Considérées comme des adversaires géopolitiques autant qu’économiques, la Russie, de façon radicale, et la Chine, de façon plus subtile, sont en première ligne avec la mise en place des dispositifs les plus aboutis au monde pour contrer les attaques américaines.
Ainsi, après l'affaire Huawei notamment, la Chine a enrichi son bouclier juridique, qui gagne en puissance et en efficacité. Elle impose par exemple à ses entreprises de se signaler systématiquement aux autorités chinoises lorsqu'elles sont visées par une enquête extraterritoriale, une prise de participation étrangère ou toute autre manœuvre suspecte étrangère. La Chine prévoit ensuite un arsenal de contre-mesures dissuasives pour retourner les sanctions contre les services ou entreprises américaines impliqués.* (30) Mais la Chine met également en place son propre système extraterritorial, devenant à son tour une menace directe pour les entreprises françaises.
La France, (et plus lentement l’Europe), commence, depuis les lois sapin 2, à se doter de premiers outils de riposte, comme la mise en place de capacités de blocage des acquisitions étrangères stratégiques, ou encore, récemment, la possibilité de déclencher des poursuites françaises sur des entreprises étrangères par exemple.
Mais face à l’intensité et à la diversité des attaques connues, elle est encore extrêmement peu active et dépassée. Dans son approche américaine, la France (et encore plus l’Europe), confond encore, dans ses rapports avec les USA, sa proximité géopolitique et culturelle avec une supposée bienveillance économique totalement fantasmée. Les décisionnaires français ne semblent pas mesurer, en tout cas dans les actes, que les Etats-Unis agissent, en matière économique, non seulement comme des adversaires à part entière, mais comme nos adversaires les plus agressifs au monde.
La capacité française à se doter d’un arsenal tout aussi agressif et interventionniste que celui des Etats-Unis en matière économiques et stratégiques suppose de sortir de toute urgence de l’angélisme et de l’ignorance sur ces sujets. Dans ce contexte, dans le cas d’Atos comme dans l’approche générale, il s’agit de considérer toute suspicion comme une attaque potentielle, pour y apporter une réponse lucide, adaptée et réactive.
Voici ci-dessous le dernier chapitre, en forme de conclusion et de prospectives, suite à l'analyse sur les faits troublants recensés autour du cas Atos. L'intégralité de l'analyse est désormais réunie dans cette analyse membre sur le blog :
https://atos.blog/2023/01/16/analyse-membresn4-2-atos-au-coeur-dune-guerre-economique-partie-2-2-matabeta/
Bonne lecture !
6/ PROSPECTIVES
Gemplus, Alcatel, Bayer, Alstom… Ces précédents évoqués ont mis en lumière diverses manœuvres américaines agressives pour prendre le contrôle, affaiblir, ou bénéficier des ressources d’une cible stratégique.
Atos, une cible stratégique
Des documents publiés par Wikileaks ont démontré que la NSA avait écouté la quasi-totalité des entreprises cotées au Cac 40, entre autre écoutes, dont les plus emblématiques furent celles de plus de 35 présidents de pays étrangers (avant 2013), comme les présidents français Chirac, Sarkozy et Hollande... Elle distribue ensuite ses collectes à des services dédiés, selon l’exploitation stratégique, politique, militaire, juridique, sociale ou économique qui peut en découler.
Outre la NSA, le dispositif américain regroupe au moins 23 agences de renseignements connues, soit environ 120 000 personnes. Ces données irriguent ensuite tous les services de l’état et informent notamment les acteurs privés américains, pour remporter les guerres économiques. Ces agences peuvent également être utilisées pour fragiliser, déstabiliser, et même inciter à la faute des directoires de sociétés ciblées* (38).
Atos est un leader mondial de la cyber-sécurité, du chiffrement, des solutions cloud, un gestionnaire de réseau de milliers d’entreprises. Elle travaille pour des clients eux-mêmes sensibles, comme des institutions mondiales, mais aussi la DGA, la DGSE, les équipements des armées, ou encore les services des ministères français. Enfin, elle se positionne en pointe dans des secteurs de recherche stratégique comme la cryptologie quantique. Dans ce domaine elle est notamment leader mondial dans l’hybridation quantique.
Sur ce seul dernier point, la cryptologie quantique, notons que la NSA est, en plus de ses missions de renseignement pour des intérêts divers, elle-même intéressée en tant que concurrente directe d’Atos. En effet, l’agence cherche à construire un calculateur quantique visant à craquer tout chiffrement protégeant le secret bancaire, médical, industriel ou gouvernemental à travers le monde. Selon le Washington Post, qui révèle cette information des fuites Snowden en 2014, la NSA se considère « au coude à coude avec les laboratoires d'informatique quantique internationaux ».* (23)
Atos n’est donc pas seulement une cible de premier plan dans le cadre de la compétition économique, elle est aussi un vecteur électronique privilégié pour approcher d’autres cibles potentielles (cf Chapitre 5), et un concurrent direct dans ses domaines d’activités et de recherche.
Participation à l’affaiblissement
Les motifs visant à affaiblir ou à déstabiliser Atos, temporairement ou durablement, par divers moyens, sont donc nombreux et divers. Les moyens d’y parvenir, au regard des précédents évoqués, le sont également. Les précédentes attaques stratégiques que nous avons abordées montrent 3 types principaux d’interventions des agences américaines face à des entreprises stratégiques :
1/ Organiser l’affaiblissement d’une société saine (Gemplus…)
2/ Amplifier l’affaiblissement d’une société traversant des difficultés ponctuelles (Alstom…)
3/ Sans être à l’origine de son affaiblissement, s’assurer de saisir les opportunités offertes par une société traversant des difficultés (Latecoère…)
Dans le cas d’Atos, si des pressions sont avérées, le cas n°2, d’une amplification de son affaiblissement paraît crédible. A l’occasion de difficultés économiques ponctuelles, des acteurs auraient pu être mandatés ou incités à agir pour accentuer ses difficultés, et d’autres pour en tirer parti.
Les pressions potentielles détectées sur Atos (Résumé)
Dans le cas d'Atos, au cours de cette analyse, nous avons pu constater que :
- Atos a pu être la cible de déstabilisation financière
Avant et malgré des offres d’acquisitions, le titre Atos a été l'un des plus exposés à la vente à découvert de Hedges Funds, qui ont aboutis à une valorisation de 15 à 25% seulement du prix proposée par des candidats à son rachat. Alors qu’il est démontré que des Hedges Funds sont parfois utilisés comme « arme de guerre économique », le comportement, la présence et la durée d’exposition de certains fonds en action sur Atos sont remarquables. (Chapitre 2)
- Atos a pu être la cible de déstabilisation informationnelle
Fausse information sur les marchés, alerte comptable infondée émise par des filiales américaines, approche incohérente et inexpliquée de l’américain DXC, avis de brokers suspects… Des évènements négatifs ponctuels ont alimenté la chute du titre en bourse. Ce dernier ne s’est pas redressé lorsque les doutes ont été levés. (Chapitre 3)
- Atos a pu être la cible de tentative d'acquisition stratégique
Un consortium de fonds américains aux liens démontrés avec la CIA a approché Atos en pleine tempête boursière, en août 2021. Divers autres acteurs américains ont été remarqués à divers niveaux de l’environnement d’Atos, qu’il s’agisse d’activité de conseil, d’investissement financier, ou de partenaires d’offres ultérieures. (Chapitre 1)
- Atos a pu être l’objet de négociations inéquitables
Des documents démontrent que les services américains informent leurs entreprises impliquées dans des phases de négociations. L'acquisition de la société Syntel aux Etats Unis, réalisée à un prix surévalué, a été suivie d’une condamnation judiciaire 100 fois supérieure au montant estimé par Atos lors de l’acquisition. Celle-ci estime avoir été trompée lors de son acquisition.
(Chapitre 4)
-Atos peut être l’objet d'intrusions électroniques
Des fuites de la NSA démontrent qu’Atos fait partie de ses cibles économiques et stratégiques prioritaires. Ses partenariats avec les GAFAM l'exposent d'autant plus, comme le récent contrat avec A.W.S., qui assure à la NSA un accès (Cloud act) légal à toutes les données hébergées en France, y compris au sein du « cloud de confiance. »
(Chapitre 5)
Chacun de ces constats peut être considéré comme indépendant des autres, ou au contraire comme étant lié aux autres. Les services de renseignements, dont le métier est basé sur une forme de paranoïa, considèrent qu’ « il n’y a pas de coïncidences ». Dans le cas d’Atos, si certains des faits relevés ci-dessus pourraient relever de malheureuses coïncidences, leur accumulation ne peut qu’augmenter la probabilité de manœuvres potentielles. Surtout au regard des précédents connus, des révélations de diverses sources, et de la sensibilité des domaines d’activités d’Atos.
Quelles conséquences ?
En considérant que ces pressions sont avérées, contrairement aux précédents évoqués, elles ne se traduisent pas, à ce stade, par la réalisation d’un but visible (comme une acquisition). Mais les objectifs éventuellement poursuivis ne sont pas forcément visibles. Les cas d’écoles cités sont connus justement parce que les manœuvres se sont traduites par un but atteint particulièrement visible, mais de nombreux cas existent de pressions potentielles aux buts non visibles.
Concrètement dans le cas d’Atos, ces fragilisations pouvaient permettre, par exemple, d’inciter l’entreprise à des cessions d’activités, de ralentir certains de ses développements en cours, d’accélérer ou de négocier en position de force des coopérations avec des collaborateurs américains... Les raisons d’amplifier les difficultés d’Atos peuvent être diverses.
En l’état actuel, on peut seulement constater les impacts engendrés par la fragilisation d’Atos ces deux dernières années : une tempête boursière historique, pendant laquelle le groupe a dû se concentrer sur sa propre survie au détriment de certaines activités de développements internes et futurs. Par ailleurs, Atos a frôlé le rachat à plusieurs reprises, et un démantèlement a été évoqué plusieurs fois. Elle a également subit le risque de dépassement de ses ratios d’endettement maximums auprès de ses créanciers, ce qui l’aurait contrainte à certaines cessions non souhaitées librement notamment. Elle a vu son directoire déstabilisé et renouvelé plusieurs fois, et a pu être en position de faiblesse pour l’obtention de certains contrats. Enfin elle a entièrement stoppé sa stratégie d’acquisitions externes, pour au contraire s’engager dans une logique de cessions.
Atos est-elle sortie d’affaire ?
Mais il faut noter que, malgré les apparences, la France n’est pas tout à fait inactive face aux attaques étrangères, et soutien plus ou moins officiellement ses fleurons lorsqu’ils sont suspects d’attaques externes. Et surtout, même sous une pression organisée, les entreprises visées conservent généralement la possibilité d’agir pour éviter les conséquences stratégiques les plus graves. Elles peuvent même parvenir à surmonter certaines attaques, voire empêcher la réalisation de certains objectifs adverses, aidées ou non par les autorités de leur pays.
Dans le cas récent d’Airbus par exemple, visée par une enquête extraterritoriale des Etats-Unis, qui induisait des conséquences potentiellement dévastatrices (notamment l’interdiction d’accès aux marchés publics mondiaux !), l’Europe a ainsi globalement réussi à éviter le pire en forçant les autorités américaines à s’associer aux françaises et anglaises, grâce à de nouvelles dispositions de ces deux pays (précurseurs en Europe), permettant d’éviter une procédure pénale américaine. * (37)
Dans le cas d’Atos, si le directoire, présidé par Bertrand Meunier, est en partie responsable des difficultés initiales du groupe, il semble être parvenu à éviter la perte de souveraineté qui pouvait menacer certaines activités du groupe. Il a résisté aux approches diverses d’acquisitions et a conduit une stratégie de scission des activités, qui, bien que décriée, semble pouvoir assurer une protection de ses activités stratégiques face aux prédateurs potentiels.
Et enfin, début 2023, la situation semble s’améliorer. Atos parvient à diminuer les risques externes en réduisant ses fragilités internes, elle réalise plusieurs cessions non stratégiques, restructure ses activités en déclin, rassure sur ses activités en croissance, passe le cap de la fin d’année concernant ces engagements d’endettement, met en place son projet de scission, et négocie l’entrée d’un actionnaire minoritaire de long terme, afin d’empêcher des participations étrangères hostiles et de réduire le flottant de son cours de bourse. Atos est-elle tirée d’affaire ? A-t-elle déjoué d’éventuels objectifs adverses ? L’histoire le dira.
Par ailleurs, du point de vue des chapitres abordés dans cette analyse, certaines pressions semblent enfin s’alléger : le climat informationnel est désormais plus apaisé, les fonds spéculatifs réduisent leur exposition, les approches de fonds américains semblent être éloignées… Un espoir, qui engendre d’autres questions : Atos a-t-elle été un temps ciblée par des pressions à visées stratégiques ? Dans ce cas, dans quels buts, et ceux-ci ont-ils été atteints ? Et si des pressions ont eu lieu, sont-elles désormais levées ? Il est impossible d’y répondre à ce stade.
Epilogue
Quoiqu’il en soit, si les soupçons évoqués ne suffisent pas, à ce stade, à joindre le cas Atos à la cohorte des précédents cas avérés d’attaques américaines, ils doivent néanmoins amener les responsables économiques à organiser des capacités de répliques et de protections adéquates pour limiter les fragilités identifiées et susceptibles d’être exploitées dans son cas comme dans d’autres. Les milieux économiques, financiers et politiques doivent adapter leurs comportements, leurs arsenaux défensifs et leurs stratégies pour être armés face à ces enjeux cruciaux.
De par le monde, de plus en plus de pays adaptent leurs arsenaux législatifs, financiers et stratégiques, pour répondre aux attaques économiques déloyales et stratégiques. Considérées comme des adversaires géopolitiques autant qu’économiques, la Russie, de façon radicale, et la Chine, de façon plus subtile, sont en première ligne avec la mise en place des dispositifs les plus aboutis au monde pour contrer les attaques américaines.
Ainsi, après l'affaire Huawei notamment, la Chine a enrichi son bouclier juridique, qui gagne en puissance et en efficacité. Elle impose par exemple à ses entreprises de se signaler systématiquement aux autorités chinoises lorsqu'elles sont visées par une enquête extraterritoriale, une prise de participation étrangère ou toute autre manœuvre suspecte étrangère. La Chine prévoit ensuite un arsenal de contre-mesures dissuasives pour retourner les sanctions contre les services ou entreprises américaines impliqués.* (30) Mais la Chine met également en place son propre système extraterritorial, devenant à son tour une menace directe pour les entreprises françaises.
La France, (et plus lentement l’Europe), commence, depuis les lois sapin 2, à se doter de premiers outils de riposte, comme la mise en place de capacités de blocage des acquisitions étrangères stratégiques, ou encore, récemment, la possibilité de déclencher des poursuites françaises sur des entreprises étrangères par exemple.
Mais face à l’intensité et à la diversité des attaques connues, elle est encore extrêmement peu active et dépassée. Dans son approche américaine, la France (et encore plus l’Europe), confond encore, dans ses rapports avec les USA, sa proximité géopolitique et culturelle avec une supposée bienveillance économique totalement fantasmée. Les décisionnaires français ne semblent pas mesurer, en tout cas dans les actes, que les Etats-Unis agissent, en matière économique, non seulement comme des adversaires à part entière, mais comme nos adversaires les plus agressifs au monde.
La capacité française à se doter d’un arsenal tout aussi agressif et interventionniste que celui des Etats-Unis en matière économiques et stratégiques suppose de sortir de toute urgence de l’angélisme et de l’ignorance sur ces sujets. Dans ce contexte, dans le cas d’Atos comme dans l’approche générale, il s’agit de considérer toute suspicion comme une attaque potentielle, pour y apporter une réponse lucide, adaptée et réactive.